L’alliance du Prince, du clerc et du soldat contre la démocratie en Afrique Noire.

L’Afrique noire avance résolument dans la voie de la démocratie sous la pression d’un mouvement initié d’en bas. Après avoir été longtemps marginalisés par les dictatures et les autocraties, les peuples noirs se sont réapproprié leur souveraineté par l’élection en s’affirmant clairement comme étant le pouvoir constituant. Ils participent désormais massivement aux élections, se déplacent massivement aux urnes, souvent au prix de leur vie, pour voter et choisir leurs représentants. Cette dynamique semble cependant contrecarrée par un mouvement de résistance venu du sommet des sociétés. Une troïka constituée par l’alliance du Prince, du soldat et du clerc noirs semble évoluer à contre-courant du mouvement général de démocratisation. 

L’exemple de Nelson Mandela peine à être suivi par les élites dirigeantes alors que l’icône sud-africaine est plébiscitée sur tout le continent comme un archétype politique qui fait loi. Thomas Sankara, l’icône panafricaine, n’a pas vécu assez longtemps pour administrer la preuve qu’il aurait pu incarner et représenter les intérêts du peuple Burkinabé sur le long terme et qu’il aurait transmis démocratiquement le pouvoir en respectant la Constitution! Comme le prouve la dérive finale du pouvoir de son  successeur, ce dernier semble avoir voulu restaurer en Afrique la vérité des armées africaines, que l’icône panafricaine avait commis la faute impardonnable de remettre en cause. En Afrique Noire, de nouveaux modèles régressifs, tels la révision opportuniste de la Loi Fondamentale et le coup d’Etat constitutionnel, semblent de plus en plus faire souche chez les couches politiques dirigeantes qui, habituées au monopole du pouvoir, se réadaptent ainsi au nouveau contexte de la démocratie libérale constitutionnelle.

L’enjeu de la démocratie en Afrique Noire est donc de faire en sorte que la troïka épouse le mouvement démocratique initié par la société d’en bas et qu’elle rame dans le courant de l’histoire.

Pour surmonter la dynamique de régression qui menace d’adultérer le mouvement de démocratisation en Afrique Noire, des tares structurelles  doivent donc être corrigées. Elles sont en général des répliques modernes des tares coloniales.

Les armées ont conservé leur fonction répressive et elles utilisent de plus en plus le monopole de la force pour le compte des diverses factions en compétition dans la haute hiérarchie militaire. Le Pouvoir politique est demeuré un monopole du Prince. Version moderne des armées coloniales à la disposition du colon et au service de ses intérêts exclusifs contre les populations, les gardes républicaines et les divisions spéciales au service de la Présidence, sont les corps les mieux entraînés de l’armée, disposent de l’essentiel des armes et sont vouées à la protection exclusive du pouvoir des Princes. Quant à une certaine partie de l’intelligentsia, elle est bien souvent embauchée sur des critères ethniques pour constituer la meute des chiens de garde du Prince ! Depuis le multipartisme, d’autres se sont engagés en politique avec un objectif d’appropriation privée du pouvoir suprême. Dirigeants de partis politiques ils sombrent souvent dans le nationalisme ethnique. A, la tête des partis d’opposition, ils exercent une fonction de chantage dont la virulence, bien souvent exclusivement alimentaire, est monnayée contre une entrée au gouvernement. La lutte multi partisane a pris clairement, dans ces conditions, les allures d’une partitocratie et d’une compétition des élites pour le monopole du pouvoir. Le savoir est resté un instrument fonctionnel de domination de classe.

A partir du modèle de la domination coloniale, s’est donc redessinée, dans les Etats post-coloniaux d’Afrique Noire, une alliance stratégique intéressée du Prince, du soldat et du clerc. Entre ces trois pôles, on assiste alors à une division du travail dans une synergie de la domination qui évolue  dans  la droite ligne du colonialisme. Le soldat et le clerc mettent leurs armes respectives à la disposition du Prince contre espèces sonnantes et trébuchantes, avancement en grade et privilèges divers. Les votes et les insurrections sont récupérés ou clairement volés par ceux qui devraient être les moteurs intellectuels, politiques et militaires du progrès. L’alliance continentale, régionale et nationale régressive des fractions les plus virulentes de cette troïka, permet de neutraliser les dissidences internes. Cette synergie de la régression et de l’inertie menace à terme le renouveau démocratique de l’Afrique Noire.

Loin d’être du populisme, cette approche critique, qui lève le voile sur le scandale de la désertion des clercs d’Afrique Noire, est un appel à une prise de conscience salutaire. L’indispensable refondation du rôle émancipateur des clercs noirs doit répondre à l’aspiration démocratique des  peuples noirs ainsi qu’à une demande populaire qui reste jusqu’ici sans réponse. 

Pour répondre concrètement à cette demande démocratique insatisfaite des peuples d’Afrique Noire, il faut reconstruire une alliance démocratique entre le Prince, le clerc et le soldat. Pour édifier cette nouvelle alliance qui permettra d’accorder les aspirations du bas à celle du haut, il faut rebâtir la légitimité et la représentativité des Princes au moyen d’élections transparentes construites sur la concurrence de différents projets de société. Il faut briser l’antique fonction répressive coloniale des armées africaines en reconstruisant par l’éducation une armée républicaine. Enfin, il faut reconstituer l’autonomie et l’indépendance critique de l’intelligentsia en redonnant au savoir sa fonction théorétique.

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