L’Afrique avance résolument dans la voie de la démocratie ! La nécessaire redéfinition du rôle des intellectuels africains dans le processus de démocratisation

L'Afrique avance résolument dans la voie de la démocratie comme le montre l’exemple du Burkina Faso après la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Le devoir de l’intelligentsia africaine est d’accompagner réflexivement ce mouvement continental. Tel fut toujours en effet le rôle des élites dans toutes les contrées du monde. Elles furent les têtes pensantes des transformations historiques et les moteurs intellectuels du progrès. Il doit donc désormais en être ainsi en Afrique. La révolution démocratique africaine a besoin de cette révolution démocratique de l’intelligentsia universitaire africaine qui fut trop souvent le porte-plume des dictatures et des autocraties.

Soumis à la pression de la dynamique de l’histoire, quelques rares hommes politiques africains semblent s’être pragmatiquement soumis à cette nécessaire révolution des mœurs et des mentalités.

Un homme politique véritablement démocrate doit être capable de formuler expressément le vœu d’un accompagnement intellectuel de la démocratisation des régimes africains : il doit demander aux universitaires de penser la démocratie moderne pour la justifier et  inscrire ses valeurs dans les mœurs africaines postcoloniales qui furent structurées par les autocraties et les dictatures. A l’ère des démocraties de la particularité, un homme politique responsable doit être à la recherche d’intellectuels appelés à participer activement à la construction d’un nouveau syncrétisme entre tradition et modernité, à marier l’universalisme des valeurs cardinales de la démocratie aux particularismes culturels.

 Or ce projet de mécénat démocratique risque d’être dévoyé par de prétendus « intellectuels » qui se sont coulés dans l’antique politique du ventre et qui à la recherche d’une gloriole personnelle écument les palais des princes dispensant des conseils de perdition. Considérant le savoir comme un instrument de pouvoir et de promotion personnelle, ils s’inscrivent allègrement dans la continuité de la logique colonialiste de domination et de violence. Ils ne remettent pas en cause la culture de l’instrumentalité et de la domination qui la structure.

En Afrique, l’Etat et l’apprentissage du savoir moderne n’avaient pas, en effet, été  introduits et institués respectivement dans l’objectif de servir l’intérêt général et à partir d’un projet théorétique visant la recherche de la connaissance pour la connaissance. Ils ont été institués dans un objectif d’apprentissage instrumental des nouveaux codes,  et dans un objectif de domination et d’exploitation du territoire, au bénéfice des détenteurs du pouvoir. Enfants adultérins de leurs géniteurs, le politicien et l’intellectuel africains ont donc, souvent et jusqu’à nos jours, considéré respectivement l’Etat et le savoir moderne comme les instruments qui leur permettent d’accumuler du pouvoir et de servir leurs intérêt personnel. Or, cette alliance coloniale du Prince et du clerc produit un alliage détonant à un âge où les nouvelles stratégies de communication permettent au second de se recycler en nouveau sophiste et en gourou des temps modernes.

 Blaise Compaoré ne fut-il pas en réalité la proie de ces « intellectueurs », de ces dispensateurs de cécité intellectuelle, de ces ophtalmologues  et ORL d’un nouveau genre qui au lieu d’éclairer, rendent au contraire les princes aveugles au réel , aux exigences d’un monde nouveau, sourds aux demandes politiques d’un peuple africain que l’histoire a transformé de fond en comble et que la révolution des moyens d’informations a éclairé? Sans vouloir nier leur responsabilité personnelle,   Blaise Compaoré au Burkina Faso et avant lui Konan Bédié en Côte d’Ivoire, ne furent-ils pas les victimes des architectes « intellectuels » qui légitimèrent respectivement la calamiteuse révision constitutionnelle et conceptualisèrent le mythe ethno-nationaliste mortifère de l’ivoirité ? 

N’est-il pas alors temps de jeter la lumière sur la responsabilité historique colossale de ces opérateurs « intellectuels »   de la régression, de l’inertie et de la faillite politiques? 

N’est-il pas temps de les dénoncer au quotidien et de les convoquer publiquement à un débat d’idées qu’ils esquivent en considérant comme attaque ad-hominen ce qui n’est que le dévoilement critique des contradictions internes personnelles  et des confusions  dans lesquels ils se sont empêtrés  ?

 N’est-il pas essentiel de réfuter conceptuellement   leurs argumentations spécieuses  lorsqu’ils entreprennent de tisser leur toile de perdition en  diffusant  à grand renfort de pompe verbale et de démagogie  les écrans de fumée destinés à égarer les populations ?

Dans sa publication de ce jour, le quotidien français Libération souligne les raisons profondes de l'insurrection populaire burkinabé contre l'ancien régime. « Lasse de la corruption de l’ancien régime et désireuse de changement, la rue burkinabé avait chassé le président Blaise Compaoré le 31 octobre dernier parce qu’il souhaitait modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir, après 27 années de règne. ». Et Jeune-Afrique montre que Michel Kafando  a été choisi pour piloter la transition en tant que président intérimaire parce que selon un leader de l’opposition  "Son programme, c'est exactement ce que les gens attendent parce qu’il  allait droit sur les problèmes de corruption et d'impunité. Il est extraordinairement en phase avec les attentes de la révolution", a-t-il poursuivi. JA 17-11-2014.

Les prétendus philodoxes et analystes politiques auto-proclamés, qui n'ayant  pas compris cette évidence, avancent des raisons farfelues tels la "burkinité" version burkinabé de « l’ivoirité » et autres billevesées sorties de leur imagination délirante doivent être pris pour ce qu'ils sont: des imposteurs qui n’arrêteront pas le cours de l’histoire avec les digues ridicules et dérisoires de la rhétorique creuse et des sophismes sulfureux !

En Afrique, la critique des Pouvoirs que la démocratie exige doit donc se doubler d’une vigilance critique envers les intellectuels organiques  et les analystes politiques « autoproclamés ». Cette vigilance est un scalpel protecteur indispensable pour la simple raison que l’intellectuel africain bénéficie, plus qu’ailleurs, de l’aura que lui confère le privilège de la science et de la connaissance des codes secrets du monde contemporain. Bien souvent,  il les utilise pour égarer les populations, conforter sa position de classe et servir ses intérêts strictement personnels. C’est ainsi qu’un « intellectuel » organique est capable, à contre-courant des valeurs démocratiques, de condamner l’attitude exemplaire du peuple burkinabé et de déplorer l’éviction de Blaise Compaoré.

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