Au dynamisme régulièrement célébré de la croissance économique en Afrique, s’ajoute un dynamisme de la lutte pour la démocratie qu’il importe de mettre quotidiennement en lumière car l’économisme ambiant pècherait à occulter ce volet politique capital de la transformation africaine. On lutte contre la culture du chef charismatique irremplaçable qui monopolise le pouvoir et refuse l’alternance, contre la violence politique, contre l’électoralisme, contre la définition ethnique de la nationalité.
On se bat démocratiquement pour donner corps à la représentation gouvernementale des intérêts sociaux, pour la transparence des élections afin de placer le quotidien politique sous le regard normatif de l’idéal démocratique. La préoccupation des démocrates africains est d’assurer l’alternance du pouvoir, sa limitation par les droits fondamentaux, sa représentativité ; et de donner corps à la citoyenneté en lieu et place de la définition ethnique de la nationalité.
Cet objectif ultime, qui fait consensus en Afrique, prive d’audience les appels à l’autochtonie en matière de démocratie, les appels à restaurer en Afrique une démocratie conforme à « nos cultures » et à « nos civilisations ». Car ces termes ont toujours servi à étouffer, au profit des traditions contingentes locales de domination et de conservation du pouvoir, l’esprit intemporel de liberté innervant les cultures politiques précoloniales!
Tel dictateur moderne africain s’entourant de chefs traditionnels, ou les intégrant dans l’administration de l’Etat pour donner à son autocratie une allure d’autochtonie, ne fait en réalité que reprendre à son compte les techniques efficaces de manipulation et d’instrumentalisation de la chefferie naguère mises en œuvre par l’administration coloniale. Le chef coutumier était, dans les royautés et les aristocraties militaires précoloniales, le symbole et le centre de la rencontre et de la diffusion d’un réseau pluraliste de pouvoirs lignagers, territoriaux et interpersonnels qui ne reconnaissaient au souverain qu’un rôle politique limité. Il devient ici l’administrateur subordonné et le client d’un Etat dominé par un autocrate centralisateur et monopolisateur qui prétend être l’incarnation de la nation !
Le recours à la tradition a ainsi, bien souvent, servi à conforter l’anti-démocratie et à rejeter les principes démocratiques de l’alternance du pouvoir et du pluralisme, contenus dans l’esprit vivant des cultures politiques africaines. Il faut en effet distinguer la culture entendue comme inventivité incessante, esprit producteur de nouveauté, des traditions qui sont des formes d’organisation localement produites à un moment dépassé de l’histoire et que la colonisation a pu durcir afin de les instrumentaliser ! En réalité, expressions temporelles de la liberté irréductible de l’être humain, les exigences politiques de la limitation du pouvoir du souverain, du pluralisme et de l’équilibre des pouvoirs, de la nécessaire représentation des intérêts des gouvernés par les gouvernants, ont toujours servi à structurer les sociétés politiques des collectivités humaines depuis les temps immémoriaux et ont été déclinés sous plusieurs formes sous toutes les latitudes.
Cette lucidité est un gage de progrès. Elle pourrait permettre de vaincre les fléaux de la modernité politique africaine qui ne sont guère des fatalités. Mais comment triompher concrètement des dynamiques de régression et d’inertie qui semblent enfermer la lutte démocratique africaine dans les ornières de la personnalisation et de la monopolisation du pouvoir, de la violence politique, du tribalisme et de la corruption ? Les élites démocratiques africaines ont, en effet, tendance à reproduire dès leur accession au pouvoir les tares qu’ils dénonçaient en étant dans l’opposition !
Pour arracher la démocratie africaine à ses ornières, il faut d’abord, tel un individu qui se libère du poids de son inconscient, porter au jour les origines historiques de la confusion politique qui, à la manière d’un retour psychanalytique du refoulé, entraînent en Afrique cette adultération des réquisits de la démocratie. La chaotique modernité politique africaine semble être le miroir déformant en lequel s’expriment les formes pathologiques des différents modèles démocratiques qui s’y sont réalisés au cours de l’histoire.
Les traditions adultérées de la démocratie républicaine ou fédérale furent, selon des déclinaisons spécifiques, mélangées aux traditions manipulées et déformées des sociétés lignagères, des royautés et aristocraties militaires africaines précoloniales. Ces traditions politiques hybrides furent prorogées, telles quelles, par les élites africaines qui investirent les appareils d’Etat au départ des colons et les mirent au service de leurs propres intérêts.
L’objet de la lutte démocratique africaine est, dès lors, de rebâtir la démocratie en regard de cette double adultération. Il s’agit de reconstruire dans chaque Etat africain, la démocratie en mariant ses trois dimensions, à savoir la citoyenneté, la représentativité des intérêts sociaux, et la limitation du pouvoir par les droits fondamentaux, en regard du type historique qui avait été installé sous une forme adultérée et corrompue.
La lutte démocratique africaine s’inspire de plus en plus de l’esprit démocratique américain fondé sur le respect sacré de la Constitution et des idées morales et religieuses pour contester les manipulations et empiètements récurrents de la loi fondamentale par les autocrates. Mais il faut aussi s’approprier l’esprit des démocraties républicaines et fédérales, élément formel des Etats réalisés historiquement en Afrique. La lutte démocratique africaine doit viser à bâtir, de part et d’autre, une démocratie citoyenne décentralisée, respectueuse des particularismes et de la séparation effective des pouvoirs, ou une démocratie fédérale permettant de construire une souveraineté partagée entre des égaux dans une vraie communauté politique réalisant l’intégration de la pluralité.
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