De “On ne mange pas le goudron ” au « goudron biodégradable » : la continuité du séparatisme ethnique et de la conception communautariste de la nation.

Loin d’être anodine, la phrase d’Henri Konan Bédié est une nouvelle  variation sur le thème du refus des figures économiques, sociales et politiques de la modernité. Au-delà de l’imposture, le meeting à Yamoussoukro du PDCI identitaire qui entend récupérer à son profit exclusif l’électorat à du FPI de Laurent Gbagbo, est celui des forces réactionnaires et antimodernistes de l’échiquier politique ivoirien.

En disant que les routes du pays sont en ce moment recouvertes de « goudron biodégradable », Henri Konan Bédié ne parle pas en qualité d’opposant, soucieux d’interpeller le gouvernement sur le registre du service de l’intérêt général et du respect des droits fondamentaux et des libertés. Il ne parle pas en qualité de démocrate et de républicain. Il parle en  démagogue. Il n’aspire guère à remplacer le prétendu goudron biodégradable, prétendu goudron de mauvaise qualité par du goudron pérenne, par un asphalte de bonne qualité. Il n’aspire guère à substituer une politique alternative de modernisation à une politique inefficiente de modernisation  

Henri Konan Bédié, le chef du PDCI identitaire, parle en chef lignager opposé à la République, soucieux de conserver les pistes villageoises poussiéreuses, crevassées et boueuse en temps de pluie qui empêchent les populations de circuler, de communiquer et d’échanger librement.

L’esprit qui anime son propos est celui d’un chef de royaume qui entend restaurer un régime garantissant le contrôle politique et social. Il entend sauvegarder l’armature matérielle des sociétés lignagères, conserver le mode de production lignager et les infrastructures garantissant l’économie de subsistance et de rente.

Sous l’apparence de la critique moderniste se dissimule le refus anti-moderniste du goudron comme symbole de la transformation de la société dans une dynamique de modernisation.

 Le propos d’Henri Konan Bédié, comme celui de ses pairs du FPI,  appelle au maintien des obstacles naturels et des mécanismes de contrôles sociaux qui permettent « au roi » ou au dictateur de régner sans partage sur des collectivités ethniques fragmentées et séparées.

Quand il qualifie « de biodégradable » le goudron qui transforme les pistes poussiéreuses en routes modernes, susceptibles de transformer des villages en villes, il appelle en réalité à la conservation des voies primitives de communication qui bloquent les dynamiques de transformations économiques, sociales et politiques.

 La psychanalyse du discours moderniste de ces opposants, de ces démocrates et de ces républicains qui n’en sont pas, révèle un refoulé qui se trahit dans la praxis. Les démocrates, les républicains et les modernistes ivoiriens autoproclamés parlent et agissent concrètement en autocrates, en despotes  et en antimodernistes.

Du "On ne mange pas le goudron " des réseaux du FPI de Laurent Gbagbo au « goudron biodégradable »  d’Henri Konan Bédié du PDCI identitaire,  sont déclinées en Côte d’Ivoire à travers le discours politique, au fil du temps de la lutte pour la conquête du pouvoir, les étapes d’un affrontement entre les forces réactionnaires et les forces du progrès et du changement.

Dans les classes politiques des Etats postcoloniaux agissent, en qualité de forces de résistance au changement social, de nouvelles élites qui se définissent comme élites lignagères pour restaurer, sous le couvert de la revendication identitaire, les anciens modèles garantissant leur statut de dominant. Leur objectif ultime est de réinstaller les contrôles politiques et sociaux qui assurent, à leur profit, la reproduction de la société et empêchent sa transformation progressiste.

En Côte d’Ivoire et en Afrique, se déroule une lutte dont l’enjeu est de  révoquer les anciens régimes, les contrôles politiques et sociaux qui assurent la reproduction des sociétés lignagères.

 

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