Situation socio-politique : Bédié sur le sentier de la guerre !

Ambroise Tiétié

Journaliste Professionnel

Au quotidien ivoirien « Le Rassemblement »

Situation socio-politique : Bédié sur le sentier de la guerre !

Dans l’interview qu’il a accordée à l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, cette semaine, le président Henri Konan Bédié n’a pas pris de gants pour croquer l’actualité nationale et plus encore. On retiendra, in fine, que l’homme est plus que jamais sur le sentier de la guerre, prêt à en découdre avec son ancien allié le président Alassane Ouattara qu’il ne manque pas de mettre en garde contre un éventuel tripatouillage de la constitution, assurant, au passage, que ‘’le PDCI, c’est moi’’ et ‘’moi, c’est le PDCI’’ (sic).

S’il fallait un exemple pour dénoncer l’égotisme du président du PDCI-RDA Henri Konan Bédié, ce serait, sans le moindre doute, cette assertion lourde de sens lâchée lors de l’interview qu’il a accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique de cette semaine. Sans la moindre précaution oratoire et avec une suffisance qui en dit long sur ses ambitions à la tête du vieux parti, il a déclaré que le PDCI-RDA et lui forment une seule et même entité. ‘’Moi, c’est le PDCI et le PDCI, c’est moi’’, a-t-il lancé. Le journaliste commis à l’interview a dû tiquer. Surprenant, en effet, de la part de quelqu’un qui n’a eu de cesse de se présenter comme un démocrate. C’est d’ailleurs, à ce titre, qu’il vitupère contre le régime en place coupable, à ses yeux, de ‘’dérives autoritaires’’ inacceptables. C’est aussi pourquoi, il a invité les ‘’forces vives’’ de la nation à le rejoindre pour former une plateforme dite non idéologique à l’effet de faire pendant au RHDP et bouter la coalition au pouvoir de la tête de l’Etat. Rien que ça ! Amateur de phrases ‘’acidulées’’ dont il a fait sa marque de fabrique, cet homme qui maitrise le bréviaire des injures et des expressions péjoratives comme personne,  vient encore de frapper avec cette belle formule qui trahit son inclination ‘’monarchisante’’. ‘’Moi, c’est le PDCI et le PDCI, c’est moi’’ ! C’est sans doute la dernière sortie qui manquait à son ‘’tableau de chasse’’ si fourni. Pour le coup, il rappelle le roi Louis XIV, appelé le Roi Soleil qui exerça un pouvoir absolu sur la France pendant plus d’un demi-siècle (54 ans). Le 13 avril 1655, face aux Parlementaires, il osera cette phrase qui est passée à la postérité : ‘’L’Etat, c’est moi !’’. C’était une manière de faire comprendre à ses interlocuteurs que c’est lui qui exerçait le pouvoir et non eux. De fait, il rogna leur pouvoir et fit d’eux de simples ‘’enregistreurs’’ des édits royaux !

‘’Moi, c’est le PDCI et le PDCI, c’est moi’’, a lancé Bédié

Chassez le naturel, il revient au galop !On ne peut dissimuler longtemps sa véritable nature, elle revient toujours à la surface, a dit  Destouches, célèbre dramaturge français du 18ème siècle. Cela vaut pour le président Bédié qui s’était déjà fait remarquer lors de sa prise de pouvoir en 1993, suite au décès du père de la Nation, l’emblématique Félix Houphouët-Boigny dont il était le successeur légal. Il avait demandé au peuple ivoirien de se ‘’mettre à sa disposition’’. Un épisode que rappelle, de fort belle manière, le journaliste-écrivain Venance Konan, Directeur général du quotidien pro-gouvernemental Fraternité Matin. ‘’Le pouvoir, il n’avait pas fait beaucoup d’effort pour l’avoir. Il s’était juste contenté d’attendre qu’il tombe entre ses mains. N’était-il pas l’héritier ? N’avait-il pas attendu treize longues années ? Et vous auriez voulu qu’il se mette à la disposition de son peuple ? Le peuple se mit donc à sa disposition et il régna en héritier, c’est-à-dire avec désinvolture. Il cassa la maison de son prédécesseur et la transforma pour s’y installer. Alors, avec la même désinvolture, il perdit le pouvoir un jour de ripailles. Alors que sa soldatesque en colère faisait tonner les armes dans sa capitale, il choisit d’aller faire bombance dans son village à la veille de la fête de la nativité. Il ne passa qu’une nuit, la dernière de son règne, dans son nouveau palais. 20 ans plus tard, n’ayant toujours pas digéré sa chute, il demande à nouveau à son peuple de se mettre encore à sa disposition. Il n’est pas compliqué, son peuple. Il lui suffit d’un peu de haine, de tribalisme et de beaucoup de xénophobie pour se mettre en branle. En tout cas, c’est pour le moment le seul programme proposé. Et cela suffit pour qu’on nous le présente comme le seul espoir de tout le peuple. Dans un pays où l’on croit qu’un pasteur peut ressusciter un mort, l’on peut tout à fait, à 86 ans, être l’espoir d’un peuple dont la majorité a moins de 30 ans. Il veut donc reprendre le pouvoir qu’il a imprudemment laissé filer entre ses doigts il y a 20 ans’’, relate, avec force détails l’auteur de ‘’Les Prisonniers de la haine’’.

En clair, avec cette interview, Henri Konan Bédié a définitivement tombé le masque. Pour ceux qui en doutaient encore, l’homme n’a pas fait mystère de sa volonté de reprendre le pouvoir. Même s’il tente encore de faire croire que le dernier mot revient au parti voire à la convention. Mais, il faudrait être niais comme un ‘’veau’’ pour le croire. D’autant qu’il a déjà avoué que le parti et lui ne font qu’un. ‘’Si le parti vient me chercher, alors, je verrai dans quel état physique et personnel je serai…Oui, redevenir président, ce serait une revanche, mais, il n’y aurait pas de vengeance. Ce serait me rendre justice’’, se convainc-t-il, pince-sans-rire. ‘’Ce serait me rendre justice’’… Ah oui, on aura compris que l’homme n’a pas encore digéré le coup d’Etat du 24 décembre 1999 qu’il continue à considérer comme une grosse injustice. C’est dire qu’il n’a tiré aucune leçon de ce pronunciamiento qui a sanctionné sa gouvernance hasardeuse et …arrogante. Faut-il rappeler que le peuple, le souverain peuple, ultime juge des actes des gouvernants, a applaudi ce coup de force ? Faut-il aussi rappeler que l’appel à la résistance lancée par Bédié, alors qu’il était sur la route de l’exil est tombé dans des oreilles de sourds ?

C’est dire qu’il n’a tiré aucune leçon du pronunciamiento de 1999

Suivons cette analyse percutante et pertinente du prélat Jean Claude Djéréké qui, avec des mots bien choisis et un art consommé de la description, replonge le lecteur dans les années Bédié, de triste mémoire. ‘’Qu’est-ce qui restera d’Henri Konan Bédié ? Quel souvenir aura-t-il laissé, sinon celui d’un homme d’une extraordinaire fatuité ? Quels sentiments sa chute a-t-elle suscités ? Compassion ou soulagement ? Tristesse ou joie ? On doit pouvoir affirmer que, excepté les gens de Daoukro, peu d’Ivoiriens ont regretté la chute de Bédié. Il suffit, pour s’en rendre compte, de penser à l’indifférence avec laquelle la population a accueilli son appel à la résistance. Qui pouvait risquer sa vie pour cet homme qui n’avait de considération que pour les gens de son ethnie et croyait que les Akan ont été créés pour diriger les autres ethnies ? Si la majorité des Ivoiriens ont poussé un ouf de soulagement à l’annonce de sa chute, c’est essentiellement, parce qu’ils avaient été débarrassés d’un homme qui se croyait au-dessus de tout le monde. Que reprochait-on fondamentalement au successeur du président Houphouët-Boigny ? Pourquoi ne voulait-on plus de lui ? Ce n’est pas seulement parce qu’il géra la Côte d’Ivoire, entre 1993 et 1999, comme une entreprise familiale. Ni parce qu’il serait incompétent, ni parce qu’il aurait volé 300 milliards FCFA. On s’est réjoui de son renversement parce que tout le monde déplorait sa désinvolture, sa suffisance et son arrogance. Les Ivoiriens disent, en effet, que Bédié se prenait pour un petit dieu : il n’écoutait personne !…’’, a vitupéré l’homme de Dieu. Un véritable réquisitoire qui dépeint le prince des Nambè tel qu’en lui-même : un homme infatué, imbu de sa personne, profondément tribaliste et rancunier. 20 ans après avoir perdu le pouvoir, il parle encore de ‘’revanche’’. Comme si, pour lui, le temps s’était arrêté le 24 décembre 1999, date mémorable, s’il en est, qui l’a vu perdre le pouvoir. Et comme pour donner raison à ceux qui doutent de sa capacité à conduire les Ivoiriens vers des lendemains qui chantent, rarement, il parle de programme de gouvernement ou de projet de société. De fait, tout tourne autour de sa stratégie pour reprendre le pouvoir. Notamment, cette plateforme aux allures de ‘’fourre-tout’’ avec laquelle il compte revenir en haut de l’affiche. Plus de doute, il est désormais sur le sentier de la guerre. Triste ! ‘’On ne peut faire son temps et faire celui des autres’’, a prévenu Kouadio Konan Bertin ‘’KKB’’. Bédié devrait écouter plus souvent l’ancien député de Port-Bouet.

AMBROISE TIETIE

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