La cause profonde de l’allégeance de Henri Konan Bédié et consorts à Laurent Gbagbo. IIème partie.

Il est évident, pour le sens commun, que l’allégeance surréaliste d’Henri Konan Bédié et des figures historiques de son PDCI à Laurent Gbagbo s’explique, à première vue, par un calcul sordide qui n’honore pas l’ex-président de la République : le désir de capturer l’électorat de ce dernier en escomptant et en souhaitant secrètement son maintien dans les geôles de la CPI.

Cette raison seconde s’enracine néanmoins dans une raison plus profonde. Au-delà de la dimension instrumentale et opportuniste de son ethno-nationalisme, la vision politique d’Henri Konan Bédié et de ses paires converge avec l’ethno-populisme de Laurent Gbagbo. Ils partagent avec Laurent Gbagbo une conception communautaire de la société et de l’Etat qui se situe aux antipodes de la conception républicaine et libérale de Félix Houphouët-Boigny et de son PDCI-RDA.

Le FPI ethno-nationaliste de Laurent Gbagbo est l’anti-PDCI-RDA de Félix Houphouët-Boigny. Le parti de Laurent Gbabgo en a combattu l’esprit : l’alliance progressiste libérale de la tradition et de la modernité, de l’identité ethnique et de la rationalité économique. Il en a combattu le programme politique: l’intégration nationale de la diversité ethnique par la modernisation économique. Il en a rejeté le projet sociétal : la construction d’une société fraternelle de solidarité organique enracinée dans l’identité mais ouverte sur l’universel.

L’allégeance d’Henri Konan Bédié et de certaines figures emblématiques du PDCI-RDA à Laurent Gbagbo ne saurait s’expliquer exclusivement par le calcul stratégique électoraliste d’un Henri Konan Bédié soucieux de capter  l’électorat du FPI pour tenter de s’emparer du pouvoir d’Etat en 2020.

Au-delà de la coagulation opportuniste des rancœurs et des ambitions personnelles de pouvoir, l’allégeance surprenante de ces hommes à Laurent Gbagbo est le terme de la résilience  de l’aile ethno-nationaliste du PDCI-RDA.

Les figures historiques du PDCI-RDA qui viennent de faire allégeance à la personne de Laurent Gbagbo et qui viennent de se mettre à la disposition du FPI, incarnaient un courant identitaire au sein du parti. Ils rejetèrent d’emblée  le nationalisme modernisateur de Félix Houphouët-Boigny. Ils refusèrent in foro interno de consentir à l’esprit, au programme politique et au projet sociétal houphouëtien.

Attendant de reprendre l’ascendant au sein du parti, ces hommes s’attachèrent à la personne de Félix Houphouët- Boigny, dans un objectif à la fois stratégique et carriériste  sans s’attacher à ses idéaux, à ses valeurs et à sa vision de la Côte d’Ivoire. Telle me semble être la raison profonde de leur « conversion » pro-Gbagbo qui ressemble plutôt à une convergence idéologique.

 Les figures historiques  qui se dévoilèrent dès les années 1990 comme acteurs et animateurs de l’ethno-nationalisme aux côtés d’Henri Konan Bédié leur chef de file représentaient  au sein du PDCI-RDA la face d’ombre du parti : la face antilibérale réactionnaire. Contre la vision universaliste et modernisatrice de Félix Houphouët-Boigny, ces "noveaux" pro-Gbgabo opposaient par choix politique et par parti-pris idéologique à l'intérieur du PDCI-RDA, l’identité ethnique à la modernité identifiée par eux au colonialisme.

La thématique de la lutte anticolonialiste, de la lutte de libération contre une invasion étrangère, de la reconquête insurrectionnelle et militaire de l’Etat par de soi-disant autochtones, les éléments de langage du socialisme communautaire, aujourd’hui mobilisés par ces hommes, sont les indices sans équivoque de ce parti-pris originel et de cette dualité interne.

L’engagement pro-Gbagbo de Henri Konan Bédié, de Essy Amara et consorts  s’enracine dans cette scission intérieure du parti qui ne fut pas entièrement résorbée par la poigne de fer de Félix Houphouët-Boigny. Au sein du PDCI-RDA, une aile ethno-nationaliste antimoderniste et réactionnaire se dressait  contre la vision universaliste de Félix Houphouët-Boigny. Elle récusait  l’alliance progressiste de la tradition et de la modernité, de l’identité ethnique et de la rationalité économique consacrée par la vertu politique du Grand Homme d’Etat.

Dans les années 1990, face à un Félix Houphouët-Boigny vieillissant, les acteurs et animateurs de cette face d’ombre du PDCI-RDA, reprirent l’ascendant au sein du parti. Contre cette dérive ethno-nationaliste du PDCI-RDA s’amorça alors la résistance de l’aile progressiste du parti qui conduisit à la dissidence et à la rupture idéologique dont naquit le RDR.

Djéni Kobenan et Alassane Ouattara représentaient au sein du PDCI-RDA l’aile modernisatrice garante de la continuité du programme houphouëtiste d’alliance entre la tradition et la modernité. La personne de l’actuel chef de l’Etat Alassane Ouattara incarnait la dimension de la rationalité économique dans le duo houphouëtiste. Né du rejet de la dérive ethno-nationaliste du PDCI-RDA, le RDR fut fondé pour assurer la continuité du programme politique Houphouëtiste qu’incarne aujourd’hui le RHDP une coalition républicaine des partis centristes ivoiriens.

L’hostilité atavique des dinosaures du nationalisme ethnique du PDCI version Bédié envers l’actuel chef de l’Etat s’adresse à la personne d’un chef politique qui incarne et réalise en sa dimension progressiste,  avec un brio certain, le programme de construction nationale initié par Félix Houphouët-Boigny.

Au delà de la stratégie et de la tactique électoraliste sordide, l’allégeance d’Henri Konan Bédié et de ses dinosaures à Laurent Gbagbo est donc une soumission délibérée au chef historique de l’extrémisme ethno-populiste en Côte d’Ivoire. Cette allégeance n’est pas seulement opportuniste. La conversion pro-Gbagbo de ces hommes s’explique par le partage commun d’une vision communautariste anti-houphouëtiste de la Côte d’Ivoire.

La plate-forme Gbagbo-Bédié est celle de la convergence de l’ethno-nationalisme du PDCI et de l’ethno-populisme du FPI, de la fermeture identitaire, de la non-reconnaissance de l’Altérité, de la fusion communautaire, de l’antilibéralisme  et du conservatisme réactionnaire.

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