La dimension cognitive du programme d’intégration nationale en Côte d’Ivoire.

Un programme d’intégration nationale  comporte nécessairement deux dimensions : une dimension  technique et une dimension cognitive. La nation est « l’association d’une organisation économique et d’une conscience d’identité culturelle » souligne Alain  Touraine. Elle ne se réduit pas à un réseau d’activités et d’échanges économiques.

Intégrer  la diversité des peuples d’un territoire consiste à les relier par une action économique, technique et gestionnaire de modernisation et à bâtir simultanément, par une action cognitive, un sentiment d’appartenance commune, une identité commune, une conscience nationale entre cette pluralité de peuples.

Cette action cognitive qui permet de construire un sujet collectif ayant conscience de son unité, est la dimension proprement politique du programme d’intégration nationale. Elle transforme cette pluralité de collectivités ethniques en une communauté politique reliée par une volonté réfléchie commune de vivre-ensemble et une conscience collective de soi  comme telle.  

Si cette tâche cognitive de construction nationale  est déficiente, la population coexiste et entretient des rapports et des échanges, mais n’a pas d’unité ou de conscience nationale. Cette population, dont l’unité politique est précaire et la conscience nationale déficiente, peut être manipulée et instrumentalisée par des tiers qui poursuivent des agendas particuliers de domination et qui peuvent s’insinuer dans les failles internes d’une cité intérieurement divisée.

Cela veut dire que l’action technique de construction d’un réseau d’activités et d’échanges entre les peuples doit être doublée par une action de cognition qui consolide l’unité politique de cette diversité et sa conscience de soi comme nation.

Ce volet cognitif et réflexif est vital. Il constitue la dimension proprement démocratique de l’action gouvernementale dans le programme d’intégration nationale. Il consiste en ce que le pouvoir politique produise la cité en l’aidant à se représenter réflexivement comme volonté de vivre-ensemble. Il consiste également à revivifier la mémoire fondatrice de la société, à développer et à raffermir sa conscience de soi.

Durkheim a montré, dans ses Leçons de sociologie, que l’Etat démocratique n’a pas seulement un rôle fonctionnel et administratif. Il a aussi un rôle réflexif fondamental. Il est le lieu où « s’élaborent les représentations et les volitions qui engagent la collectivité ». L’Etat est « l’organe de la pensée sociale » selon Durkheim qui repense en cette formulation la fonction du pouvoir démocratique. Celui-ci n’a pas exclusivement pour fonction de refléter la société mais de la constituer par la réflexion. En cette acception Durkheimienne, le pouvoir démocratique, comme le souligne Pierre Rosanvallon, s’apparente à « une puissance réflexive ayant pour tâche de formuler en permanence des projets et des idées par rapport auxquels les différents éléments de la société pourront se situer, réévaluer leurs attentes, mieux apprécier les termes de ce qu’ils acceptent ou rejettent ».

 Le gouvernement démocratique  doit être appréhendé comme étant  la conscience de la société. L’efficience de son action politique se constitue à travers l’interaction et la communication réflexive avec cette dernière.

Cette interaction cognitive, à travers laquelle le pouvoir politique  s’enrichit de la formulation des attentes sociales, explique les enjeux de son action publique, rend le monde lisible, construit la maturité de la société. Elle développe la participation politique de la société, forme sa conscience de soi et sa responsabilité. Elle élargit, de même, la capacité de compréhension du gouvernement qui peut alors mieux jouer son rôle de représentation. Elle transforme une collectivité ethnique en une communauté de citoyens.

Il est vital de ne pas négliger, dans notre pays, cette dimension cognitive du programme d’intégration nationale.

 

 

 

 

 

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