La séparation des pouvoirs en démocratie.

La démocratie se définit-elle par la séparation des pouvoirs ? Ne se définit-elle pas plutôt par la coordination des pouvoirs et par la limitation du pouvoir y compris du pouvoir législatif ? Le peuple serait-il souverain si les pouvoirs étaient radicalement séparés et sans coordination ? Le pouvoir législatif pourrait-il déterminer  le pouvoir exécutif, si les pouvoirs étaient radicalement indépendants ? Que deviendrait la démocratie si chaque pouvoir était indépendant l’un de l’autre ? Cette indépendance radicale des pouvoirs  ne favoriserait-elle pas la formation de centres de pouvoirs oligarchiques à l’intérieur des sous-systèmes ?

Certes, la liberté des individus et des collectivités dans l’Etat démocratique moderne repose sur la différenciation et la séparation des pouvoirs et des sous-systèmes. Néanmoins, dans la pratique, leur coordination est la condition de leur   fonctionnalité.

La coordination des pouvoirs est requise par la démocratie « surtout là où l’Etat mobilise la société pour sa transformation, que son but soit le développement, la révolution, où l’intégration nationale » souligne Alain Touraine. Tel est le cas typique  de la Côte d’Ivoire où l’Etat mobilise la société, dans un objectif d’intégration nationale et de développement endogène,  face à des fractions et des factions ethno-nationaliste et populistes situées dans les extrêmes.

Ces factions et fractions tentent d’instrumentaliser la séparation des pouvoirs en l’interprétant dans le sens du radicalisme pour  défendre des objectifs contraires, abriter des ambitions de pouvoir personnel  et protéger des intérêts oligarchiques.

 « La démocratie se définit non par la séparation des pouvoirs mais par la nature des liens entre société civile et Etat ». Elle se définit par la coordination des trois pouvoirs  et  par la limitation du pouvoir.    

La souveraineté du peuple  est protégée et garantie par la subordination de l’Etat et de la société politique à la société civile. Les droits individuels sont protégés contre l’arbitraire du pouvoir grâce à l’autonomie du pouvoir judiciaire face au pouvoir exécutif. Le respect de ces droits est garanti par la limitation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif par le pouvoir judiciaire.

Le pouvoir législatif, le parlement, doit lui-même être limité par la loi  et par « les mécanismes de contrôle de la constitutionalité et de la légalité des décisions prises ». L’arbitraire possible du pouvoir législatif doit, à l’intérieur du parlement, être  empêché par la coordination d’une chambre haute et d’une chambre basse.

 Les trois pouvoirs, le législatif, le judiciaire et l’exécutif doivent être coordonnés et non pas radicalement séparés dans une démocratie pluraliste. La séparation radicale des pouvoirs conduirait à la fermeture du système politique sur lui-même. Elle couperait le parlement du reste de la société et le transformerait en un lieu de protection d’intérêts oligarchiques.

La souveraineté du peuple se définit par la coordination des pouvoirs qui permet au système politique de jouer son rôle de médiation entre la société civile et l’Etat. Cette coordination permet de relayer, au niveau du pouvoir politique, les demandes formées dans la société civile. La démocratie, expression de la souveraineté populaire, perdrait son sens si les pouvoirs étaient complètement séparés, indépendants les uns des autres.

Dans la genèse historique de la démocratie pluraliste en Occident, la séparation des pouvoirs a plutôt servi, au début, à limiter la démocratie. Sa fonction fut de restreindre le pouvoir des masses, de protéger  les prérogatives de l’élite éclairée détentrice du parlement et du pouvoir de législation.

Le parlementarisme était d'essence aristocratique. La séparation des pouvoirs  servait au début de la démocratie  à préserver les intérêts de l’aristocratie contre les intérêts du plus grand nombre. Dans les démocraties dites populaires des  pays d’Afrique noire, les parlements ont trop souvent défendu les intérêts oligarchiques des élites dirigeantes.

La dérive autocratique du chef du parlement ivoirien et des parlementaires de sa fraction qui assimilent l’immunité parlementaire à l’impunité et se considèrent, de ce fait, au dessus de la Loi, repose manifestement sur la résilience de cette culture antidémocratique  de domination oligarchique en cette fraction. Cette culture commande leur interprétation erronée  de la séparation des pouvoirs. L’errance symbolique de ces élus est la conséquence de leur  ignorance coupable  de la dialectique subtile des pouvoirs en démocratie pluraliste. Elle trahit une vision anti-démocratique du pouvoir politique.

 

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