Les sources de la perversion des luttes démocratiques en Afrique noire. 1ère partie.

Nous devons déceler, par une forme d’archéologie mentale et d'introspection, les représentations primaires inconscientes ou préconscientes qui bloquent notre capacité d’historicité en Afrique Noire. Cette catharsis intérieure pourrait nous permettre de nous affranchir de la  scission interne qui semble être la source de nos actes manqués en politique.  

Notre capacité à construire notre histoire dans l’autonomie et dans le sens du progrès en nos Etats postcoloniaux, à transformer qualitativement nos sociétés, est obérée, selon moi, par deux représentations mentales qui opèrent comme de redoutables forces d’inertie.

La première consiste en une représentation erronée de la lutte politique dans nos Etats postcoloniaux. La seconde, qui sera le sujet de la 2ème partie (à venir très prochainement) de cette réflexion, consiste en la nature victimaire de notre conscience malheureuse.

Dans nos États postcoloniaux, nous continuons de concevoir  la lutte politique comme lutte anticolonialiste de libération nationale. Nous continuons à nous la représenter comme un combat contre la domination d’une puissance étrangère. Nous concevons subséquemment la lutte démocratique comme une lutte révolutionnaire et insurrectionnelle des classes populaires contre la domination d’une oligarchie intérieure dite  asservie à des intérêts étrangers.

L’appétence des forces politiques africaines, dites de gauche, pour le modèle soviétique de la révolution d’Octobre 1917 comme triomphe des classes populaires contre des ennemis classe, s’enracine dans cette détermination historique inconsciente de notre imaginaire collectif. Cette détermination inconsciente nous conduit à identifier l’État à un appareil de domination et le gouvernement à un ennemi de la société. L'opposition politique  prend dans ce cas la forme d'une stigmatisation compulsive et d'un rejet du gouvernement considéré comme extérieur à la société et comme son ennemi. 

 Cette conception  est alourdie  par le fait que, dans les pays de l’ex pré-carré français, les élites intellectuelles et politiques se sont réappropriées par acculturation le modèle français de la révolution et de l’insurrection populaire. A l’instar de ce modèle, nous concevons la démocratie comme défense des intérêts des catégories populaires contre une oligarchie terrienne ou capitaliste. Nous concevons la lutte démocratique comme une lutte insurrectionnelle des classes populaires contre la domination des oligarchies.

Néanmoins, en raison de notre histoire spécifique, cette représentation de la démocratie comme révolution sociale se réalise toujours  en nos contrées nécessairement sous une forme dévoyée et pervertie.

Les élites africaines  demeurent traditionalistes et conservatrices. Elles se définissent souvent comme élites lignagères représentant des communautés ethniques.

Considérant la lutte politique sous le modèle de la lutte anticolonialiste de libération nationale contre une puissance étrangère, elles  interprètent la révolution comme réaction et retour au passé précolonial. La lutte démocratique, comme révolution sociale, s’exprime nécessairement dans ce cas comme lutte pour la restauration des formes politiques et sociales du passé précolonial.

Elle prend conséquemment, sous nos contrées, la forme d’une lutte identitaire. Les forces démocratiques africaines dites de gauche se transmuent en forces ethno-nationalistes. Les socialistes africains se transforment en  nationaux-socialistes.  Les forces populaires de gauche  se convertissent en forces identitaires d’extrême droite. La volonté africaine de libération se métamorphose  en volonté oligarchique de domination et d’inégalité. Les médiations politiques qui devraient permettre  de transformer cette volonté de libération en institutions représentatives de libération et d’émancipation individuelle et collective se transmuent en instruments oligarchiques d’oppression et de domination. Les institutions deviennent des moyens de protection d’une domination oligarchique. Les partis politiques, pour ne prendre que cet exemple, se transforment en instruments de contrôle de la société par le pouvoir politique, de défense des intérêts particuliers oligarchiques de leurs appareils dirigeants et de leurs chefs.

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