Comment dépassionner le débat politique en Côte d’Ivoire?

Les élections et notamment l'élection présidentielle, dans une démocratie pluraliste, soulèvent toujours des passions. C'est le débat programmatique, l'affrontement conceptuel argumenté, menés par les intelligentsias de ces pays, qui désarment les langues, dépassionnent l'affrontement politique en le dépersonnalisant. Ce frottement des intelligences civilise la concurrence en mettant au centre de l'espace public les finalités et les raisons justificatives de la concurrence pour l'exercice du pouvoir suprême. Cette confrontation programmatique et intellectuelle éclaire la raison publique et garantit la liberté du choix politique qui définit la démocratie.

 Le débat argumenté, la confrontation des projets de société et des programmes, la confrontation critique des positions partisanes avec les réquisits de la substance et des procédures de la démocratie pluraliste, la référence constante à la priorité de la Loi, dressent un cordon sanitaire contre les brutalités langagières, les coups de poings, les coups de forces  et de fusils.

Lorsque les intelligentsia démissionnent, se définissent comme élites lignagères, s'asservissent à des logiques politiciennes, excitent les pulsions  par un discours partisan belliqueux, se claquemurent dans la défense de leurs intérêts privés et de leurs statuts acquis dans des logiques communautaristes et claniques, dévalorisent la réflexion, accompagnent les dynamiques de mobilisation qui excitent et exacerbent les pulsions primaires, les opinions irraisonnées finissent par dominer et pavent le chemin à la logique de la force qui menace d’euthanasier la démocratie.

Quand, dans une jeune démocratie pluraliste africaine, les intellectuels politiquement engagés abdiquent de leur fonction d'éclairement, de fondation rationnelle de l'action, d'analyse critique et d'explication, pantouflent au sein des partis, importent des logiques communautaristes et régionalistes, se transforment en architectes du mythe ethno-nationaliste et en mercenaires de politiciens de carrière, cette coupable démission brutalise la scène politique. Elle y installe les stratégies retorses de l'habileté, les invectives, la violence des mots qui finit souvent par se transformer en violence des armes. Depuis les années 1990 une partie non négligeable de l'intelligentsia universitaire ivoirienne s'est illustrée de la plus triste manière sur ce registre. Elle porte une lourde responsabilité dont elle doit se racheter pour dépassionner l'affrontement politique ivoirien. 

Ce n'est pas aux militants partisans et aux sympathisants et aux politiciens professionnels qu’il faut demander vainement de dépassionner le débat. C’est aux intelligentsias ivoiriennes qu’il faut demander de consentir enfin à jouer leur rôle : animer et vivifier le débat argumenté sur la substance et les procédures de la démocratie, sur la confrontation des idées et des valeurs, sur la nature et la finalité  du pouvoir dans une démocratie pluraliste. Il leur appartient d’éclairer le public sur ce qui est attendu d’un parti socialiste et d’un parti libéral  pour ne prendre que ces exemples. Ce débat réflexif  n’est jamais de trop dans la démocratie pluraliste qui n’est pas un régime de mobilisation et de propagandes. L’action politique démocratique est une action fondée en raison. Cette fondation rationnelle la détermine comme action pragmatique soucieuse de liberté, de l'égalité et d'intégration nationale.

Lorsque le débat réflexif fait défaut, l’action politique, s’asservit à la dynamique de concentration du pouvoir. Elle cède aux séductions de l’habileté dans une logique d’efficacité et finit par errer. Cette errance plonge la cité dans l’anomie, la crise politique et la violence. En cette dérive la responsabilité des intelligentsias est toujours lourde comme en témoigne  l’histoire du FPI.

Il appartient aux intelligentsias ivoiriennes, d’occuper leurs postes de penseurs, d’initier et d’animer ce débat conceptuel et éthique dépersonnalisé qui permet de sauvegarder la démocratie en soustrayant l’affrontement politique à l’invasion mortifère des pulsions primaires.

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