Dernier livre de Laurent Gbagbo : que d’incohérences !

Ambroise Tiétié

Journaliste Professionnel au Rassemblement.

Sorti en librairie au moment où il est de plus en plus question de lui accorder la liberté provisoire après laquelle il court depuis des années, le livre-entretien de l’ancien président Laurent Gbagbo fait déjà le buzz et l’actualité. Mais, il fourmille de tant d’incohérences que l’on s’interroge : que recherche-t-il à travers cet ouvrage-polémique qui risque d’avoir un effet boomerang ?

‘’Libre. Pour la vérité et la justice’’, tel est le titre du livre que vient de sortir Laurent Gbagbo, encore à la Cour pénale internationale (CPI). Il faut craindre que la ‘’vérité’’ ne soit pas au rendez-vous. Quant à la ‘’justice’’, il est douteux qu’elle soit apportée par ce livre au contenu pour le moins contestable. Et pas qu’un peu ! Lourd de plus de 300 pages, le bouquin de celui que ses aficionados surnomment, avec une affection non feinte, le Woody de Mama, pourrait en rajouter à la réputation de l’homme connu pour être un ‘’roublard’’, un ‘’boulanger’’ et autre. Lister les incohérences et les incongruités contenues dans cet ouvrage, serait une entreprise fastidieuse. Il suffit toutefois d’en relever celle relative à l’entre-deux tours qui a dégagé le trio de tête Gbagbo, Ouattara et Bédié, respectivement, premier, deuxième et troisième, au terme du premier tour. Alors que le vulgum pecus pensait que chacun occupait son vrai rang, le livre du premier tente de lever un coin de voile sur ce qui se serait passé à l’époque, loin des projecteurs.

Le livre tente de lever un coin de voile sur ce qui s’est passé

Aussi, Laurent Gbagbo révèle-t-il que c’est Bédié qui était arrivé en deuxième position, mais il a été ‘’spolié’’ de 600.000 voix. Résultat, il a occupé finalement le troisième rang. ‘’En vérité, en octobre 2010, dès le 1er tour, je savais que Ouattara était arrivé troisième. Et qu’il ne pouvait pas participer au second tour. Des gens du PDCI, le parti de Henri Konan Bédié, qui était le 2ème, venaient me voir et passaient des messages. J’ai appelé Bernard Ehui, un proche de Bédié qui est devenu ambassadeur au Ghana. Il y avait beaucoup de fraudes et d’irrégularités. Ehui m’a dit : J’étais avec Bédié toute la soirée, on a travaillé. Je t’appelle demain’’. Cet extrait qui vaut révélation mériterait qu’on s’y attarde un tout petit peu pour en déceler les failles et incohérences. Au terme du premier tour, les trois protagonistes ont été crédités de 1 756 504 voix pour Gbagbo, 1 481 091 voix pour Ouattara et 1 165 352 voix pour Bédié. Si donc on s’en tient aux propos de Laurent Gbagbo qui reconnait volontiers que Bédié a été spolié de 600 000 voix, on remarquera que ce dernier aurait obtenu 1 765 352 voix. Dès lors, ô surprise, N’Zueba se retrouve en première position, puisqu’il aura engrangé plus de suffrages que le Woody. Avec un écart de 8 848 voix !

Du coup, la révélation de l’auteur de ‘’Libre. Pour la vérité et la justice’’ devient suspecte. Tel est pris qui croyait prendre ! Il voulait accabler Bédié, mais voilà que sa ‘’vérité’’ prend l’eau de toutes parts. Lui ou Bédié, qui est arrivé au premier rang ? La question prend tout son sens. Cependant, pas de doute, si l’on suit sa logique et accorde foi à ses déclarations, il ne fait l’ombre d’aucun doute que c’est Gbagbo qui n’était pas à sa place. D’autant qu’il reconnait lui-même que les voix de son adversaire ont été délestées de 600.000 points. Il ne peut désormais le nier. D’ailleurs, à l’époque, le président du PDCI avait lui-même reconnu qu’on lui avait ‘’volé’’ 600.000 voix au terme du premier tour. Mais, il n’avait pas fait de vagues, préférant faire profil bas. On peut donc se demander : mais que vise la révélation de Gbagbo qui intervient au moment où Bédié fait la cour au FPI pour mettre en place sa plateforme ? Est-ce une manière de lui opposer une fin de non-recevoir, laissant entendre qu’il n’a rien oublié et qu’il continue à en vouloir au Sphinx de Daoukro de l’avoir snobé au profit du Bravetchè ?Tout porte à le croire. Surtout à voir la charge que porte cette révélation aux allures de réquisitoire. Qu’on en juge.

Gbagbo continue à en vouloir à Bédié de l’avoir snobé au profit de Ouattara

Dans son entendement, Bédié devait faire des réclamations en introduisant un recours dans les délais légaux (3 jours après la proclamation provisoire des résultats par la CEI). Or, curieusement,  l’intéressé n’a réagi qu’après 5 jours.Ce qui rendait sa réclamation nulle et de nul effet. Une attitude que Gbagbo semble n’avoir pas digérée. ‘’Il ne l’a fait que le 5ème jour. Trop tard. Ce n’était plus recevable. C’était volontaire. Bédié est non seulement économiste, mais il est juriste. Il savait ce qu’il faisait. Il a cédé aux pressions de la France et de son portefeuille’, a déclaré Gbagbo. C’est ce qu’on appelle une attaque en règle. Bédié a sans doute apprécié. Pour la plateforme, ça promet ! Plus sérieusement, on peut dire que les choses sont dorénavant mal engagées pour N’Zueba qui comptait sur le FPI de Laurent Gbagbo pour faire pendant au RHDP avec sa plateforme. Il peut toujours rêver !

Cela dit, concernant le second tour de la Présidentielle 2010, on ne sait plus à qui ou à quoi se fier. Puisqu’une autre version circule, selon laquelle, Laurent Gbagbo était arrivé en 3ème position, mais qu’il a refusé ce rang, menaçant de faire du grabuge s’il n’était pas admis au second tour. C’est donc lui le ‘’repêché’’ et non Ouattara, contrairement à ce que sous-tendent ses curieuses révélations.

Finalement, on pourrait s’interroger quant à l’objectif que vise  son livre : pourquoi l’a-t-il écrit maintenant ? Et, surtout, pourquoi cet ouvrage est-il truffé de tant d’approximations ? Un autre exemple. A la page 12, on peut lire ce qui suit : ‘’Il serait donc logique, selon cette écriture de l’histoire, d’envoyer seule devant les tribunaux, cette femme violée qui a crevé un œil à son agresseur sous l’œil goguenard de son violeur’’. Qui pourra jamais comprendre cette phrase dans laquelle, on a de la peine à faire le distinguo entre l’agresseur et le violeur ? Qui est l’agresseur, qui est le violeur ? L’auteur laisse entendre que ce sont deux personnes distinctes, alors qu’en réalité, les deux termes recouvrent la même réalité. De sorte que l’agresseur et le violeur devaient renvoyer à la même personne. Mais, pas pour l’auteur de l’ouvrage incriminé.

Quelle est cette œuvre qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses ? On s’attendait à des révélations de première main de la part de cet homme qui passe pour être un acteur de premier ordre à la fois du débat politique et de la crise postélectorale. On espérait, aussi, avoir des réponses à certaines interrogations en lien avec le scrutin et la crise postélectorale. On pensait, enfin, que ce livre viendrait booster le processus de réconciliation en livrant le mea culpa de l’ancien président détenu à La Haye depuis novembre 2011. Las !

AMBROISE TIETIE
 

Les commentaires sont fermés