Grd-Bassam ou l’instrumentalisation politique de l’ethnicité à des fins de pouvoir en Côte d’Ivoire.

Il ne faut pas oublier ce principe: dans les États de l’Afrique postcoloniale, la revendication identitaire vient plutôt des dirigeants et des idéologues que de la masse de la population. Cette revendication artificielle sert les intérêts particuliers des acteurs politiques qui instrumentalisent l'ethnicité dans la lutte pour le pouvoir.

La revendication identitaire justifie toujours des politiques nationalistes qui méprisent les intérêts sociaux de la masse de la population au lieu de les défendre.

Grand-Bassam illustre doublement cette plaie qui est l’une des causes majeures du mal-développement dans l'Afrique post-coloniale.

Les évènements pos-électoraux de Grand-Bassam expriment symboliquement la crise de la médiation qui transforme toujours l’intelligentsia et les acteurs d’un pays en forces endogènes d'oppression et de régression.

L’instrumentalisation politique de l’Abissa et le sort fait à la chefferie traditionnelle dans cette localité où se déroula un des épisodes marquants de la lutte anticolonialiste ivoirienne, traduisent symboliquement la duplicité des acteurs politiques africains qui chevauchent en permanence, au gré de leurs intérêts particuliers, les frontières arbitrairement tracées entre la tradition et la modernité.

Tout en s'affirmant nationalistes, ces acteurs politiques utilisent alternativement les manettes de la tradition et de la modernité pour faire prévaloir leurs intérêts particuliers. Ils instrumentalisent, tour à tour, les traditions et la modernité au gré de leurs ambitions personnelles.

 Ils s’appuient sur les traditions pour asseoir leur légitimité politique en travestissant la représentativité des partis modernes en représentativité communautaire. Ils en appellent à l'autochtonie pour contester les résultats des élections locales comme les y poussent leur pulsion nationaliste artificielle. Rejetant les institutions judiciaires nationales, ils recourent en même temps, au soutien d'acteurs internationaux et à l'efficacité de la rationalité instrumentale moderne, à la science des avocats français, pour tenter de faire prévaloir leurs intérêts particuliers locaux dans la lutte pour le pouvoir.

Cette duplicité, que la personnalisation du débat politique sert à camoufler, exprime une crise de la médiation. La fonction de l’intellectuel et de l’acteur politique, dans les pays en développement, est de servir de médiateur, de trait d’union entre les cultures traditionnelles et la modernité. Elle est d’articuler  les rationalités traditionnelles et la rationalité instrumentale moderne afin de construire l’historicité des peuples dans la voie progressiste de leur émancipation. Cette fonction de médiation exige une aptitude personnelle au dépassement de soi.

Égocentrés et incapables d'assurer leur rôle de médiateurs entre la tradition et la modernité, d'articuler les deux mondes pour permettre l'émancipation des masses populaires africaines, un grand nombre d'intellectuels organiques et d'acteurs politiques africains se sont transformés en force endogène de domination et d'oppression.

Ils recyclent, à cette fin, les stratégies colonialistes de fragmentation ethnique, de division sociale et de désintégration nationale. Ils dévoient la représentativité des partis en représentativité communautaire pour asseoir leur pouvoir sur les masses en se faisant passer pour des dirigeants lignagers.

Dans la propension actuelle de ces acteurs politiques et de leurs intellectuels organiques à revêtir les vêtements traditionnels, je vois personnellement un déguisement. Il ne s'agit guère, selon moi, d'une réhabilitation sincère des cultures traditionnelles mais d'une instrumentalisation politique de la mémoire des peuples par des systèmes endogènes de domination et d'oppression. L'importance de la problématique ivoirienne de la reconstruction de la nation par la modernisation économique doit être envisagée à partir de cette rétrospection critique.

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