Le colonialisme ethnique de l’extrême droite identitaire ivoirienne.

En côte d’Ivoire, depuis les années 1990, l’ethnicité est mobilisée comme ressource par certains acteurs politiques dans la conquête du pouvoir d'Etat et des biens économiques. La structuration spécifique et le projet ultime de cette entreprise permettent, à juste titre, de la définir comme étant un  ethno-colonialisme.

Ce nationalisme ségrégationniste qui tient le discours de l’autochtonie, s’appuie sur les solidarités primordiales de nature tribale. Des catégories socio-professionnelles dominantes locales dissimulent leurs intérêts spécifiques sous l’idiome de l’ethnicité afin de capturer l’Etat au détriment de la nation démocratique et de l'ensemble des populations du territoire. Endossant de manière opportuniste le statut d’élites lignagères et mobilisant le discours du nationalisme identitaire autochtoniste, ces catégories dominantes tentent de s’approprier le pouvoir dans l’Etat postcolonial pour s’arroger l’exclusivité des ressources économiques.

La revendication identitaire et le populisme ivoiriens qui se sont exprimés sans équivoque à l’occasion des récentes élections locales, relèvent de ce cas de figure. Inspiré par le modèle colonialiste de domination tutélaire d’un territoire au moyen de sa fragmentation ethniciste et de sa désintégration nationale, le nationalisme identitaire ivoirien est de nature ethno-colonialiste.

L’ethno-nationalisme du PDCI n’a donc rien à voir avec une réaction défensive autonome des ethnies du territoire contre une emprise des forces dominantes de l’économie globalisée. Le national-populisme évangélique et prétendument anticolonialiste du FPI n’a rien à voir avec une résistance spontanée des forces populaires contre une quelconque exploitation capitaliste et une domination d’intérêts étrangers sur des intérêts locaux et nationaux. Cet ethno-nationalisme et ce populisme opèrent en qualité d’idéologies fonctionnelles de justification et d’instruments de conquête du pouvoir à des fins privées.

Dans l’Afrique contemporaine comme le soulignent maints sociologues, l’identité est utilisée par des groupes en compétition pour le pouvoir et le prestige.

Rebutés par l’abnégation et le désintéressement qu’exige l’élaboration d’un programme politique et économique d’intégration nationale, certains acteurs politiques africains décident d’utiliser le nationalisme ethnique en guise de programme politique mobilisateur. Incapables d’agréger les demandes sociales des populations, de formuler des programmes cohérents correspondants à ces demandes, de construire un projet sociétal inclusif et émancipateur à destination de la société globale, ils choisissent la voie facile de la mobilisation ethnique qui présente des avantages évidents. Ils se rabattent sur les solidarités mécaniques des liens primordiaux qui permettent de gommer les divergences d’intérêts de classe.

L’efficience politique de la mobilisation ethnique consiste en ce qu’elle favorise la solidarité de groupe et dissimule les intérêts spécifiques communs pour lesquels la bataille est menée.

Certaines classes politiques ivoiriennes engagées dans la compétition pour le pouvoir en appellent donc  aux attachements primordiaux qui dérivent d’un sentiment d’affinité naturelle. On mobilise ici  des liens primordiaux qui sont, comme le montrent Phillipe Poutignat et Jocélyne Streiff-Fénart, « caractérisés par l’intensité de la solidarité qu’ils suscitent, par leur force coercitive, et par les émotions et le sentiment du sacré qui leur sont associés ». Cet appel tribal aux liens du sang, aux coutumes, à l’appartenance régionale et au phénotype, l’usage de la langue vernaculaire dans le discours politique est un appel à une loyauté qui concurrence la nation comme unité sociale englobante.

La nation comme unité sociale englobante est construite sur le dépassement et le rassemblement des ethnies dans un nouveau corps politique.  Elle fait pour cela appelle au patriotisme qui est la loyauté des membres de la cité envers l’État central. L’ethno-nationalisme fait au contraire appel aux solidarités tribales aux  liens de sang pour récuser la nation unificatrice démocratique au profit du séparatisme ethnique et de l’État communautaire tutélaire et patrimonialiste.

Le nationalisme des luttes anticolonialistes africaines s’était appuyé sur les identités culturelles pour rejeter la domination étrangère. Le nationalisme des acteurs politiques des États post-coloniaux africains est un ethno-nationalisme ségrégationniste qui instrumentalise les identités ethniques pour capturer  l’État au profit exclusif d’une catégorie sociale dominante endogène.

 Cet ethno-nationalisme tourné vers l’intérieur, fragmente et divise le territoire national selon les lignes de fracture ethniques afin d’atomiser la société pour asseoir le pouvoir tutélaire d'une catégorie dominante endogène. Certains acteurs politiques africains semblent ainsi se réapproprier le modèle politique, économique et social du colonialisme occidental dans la lutte pour le pouvoir. Cette imitation  endogène du modèle colonialiste est un ethno-colonialisme.

La logique profonde de l'affrontement politique ivoirien depuis les années 1990, peut-être appréhendée sous cette grille de lecture : celle d’une offensive de type ethno-colonialiste menée contre la nation et contre la République par des acteurs politiques locaux qui instrumentalisent les identités ethniques et les attachements primordiaux à cette fin.

On voit des catégories sociales dominantes se définir ouvertement comme représentants de lignages soit-disants autochtones et prétendument propriétaires du territoire. On les voit mobiliser les attachements primordiaux de nature tribaux  pour tenter d’évincer des concurrents. On les entend depuis 1990 en appeler à une réappropriation de l’Etat par des autochtones et à une communautarisation de la société ivoirienne. On les voit revendiquer le pouvoir d’Etat au besoin par la rue dans une logique patrimonialiste en tenant le discours de la guerre civile.

Dans la typologie des obédiences idéologiques partisanes, ce discours ethno-nationaliste qui est loin d’être démocratique et républicain, est une variante locale du discours de l’extrême droite racialiste occidentale. Pour parfaire cette analogie, il est éclairant de rappeler que la colonisation de l’Afrique résulta d’une volonté d’expansion impérialiste et stratégique des nationalistes Occidentaux durant la première mondialisation des années 1800. (A suivre)

 

 

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