Les élections locales ivoiriennes révèlent un échiquier politique bipolarisé.

Les discours et les actions politiques des protagonistes des élections locales qui viennent de se dérouler en Côte d’Ivoire ont révélé un échiquier politique clairement bipolarisé. L’affrontement politique ivoirien oppose une coalition républicaine de centre-droit et un bloc identitaire en essai de formation.

Le RHDP qui fédère la coalition républicaine tient le discours de la citoyenneté et du rassemblement national de la pluralité sociale au-delà des particularismes ethniques. Soucieux de donner une représentation nationale aux collectivités traditionnelles, il tient aussi le discours démocratique de la reconnaissance des particularismes culturels. Il met pour cela en œuvre un programme d’intégration nationale de type libéral au moyen de la modernisation économique.

 Face à ce front républicain, se dressent le FPI de Laurent Gbagbo  et le PDCI d’Henri Konan Bédié qui tiennent le discours du nationalisme ethnique et la défense identitaire. Ils se posent en défenseurs des terroirs et d’une identité ethnique menacée par l’étranger, dénoncent une invasion de la Côte D’Ivoire par les intérêts étrangers du capitalisme financier, accusent le gouvernement d’être à la solde de ces intérêts. Ils en appellent à l’homogénéisation ethnique de la cité, rejettent l’hétérogénéité sociale et la nation démocratique, tentent de dresser les chefferies traditionnelles contre la République et l’Etat central, prônent la prise du pouvoir par des autochtones et l’expulsion des étrangers.

Dans le fond rien ne distingue ce discours et ce programme de ceux des partis d’extrême-droite et des blocs identitaires européens. Il est possible d’induire de ce fait, qu'en l'état des choses, le PDCI et le FPI sont les analogues ivoiriens des partis d’extrême-droite nationalitaires xénophobes européens.

Les élections locales révèlent donc que l’échiquier politique ivoirien est partagé entre une extrême-droite ethno-nationaliste dure au discours et au programme décomplexé et marqué et un centre-droit libéral au discours républicain et démocratique avec un programme d’intégration nationale affirmé et affiché. Cette configuration bipolaire des forces n’est nullement accidentelle. Elle résulte d’une dynamique qui s’étale sur une longue durée.

Le discours emblématique d’Henri Konan Bédié à la communauté Baoulé et à la chefferie traditionnelle Akan le dimanche 23 Septembre 2018, qui signe sa rupture avec la coalition républicaine de centre-droit et son ancrage dans  l’extrémisme identitaire différentialiste et anti-républicain est le terme d’une dérive ethno-nationaliste continue initiée depuis les années 1990. C’est la consolidation d’un engagement de conviction qui n’est pas exclusivement opportuniste.

Cette dérive identitaire qui trahissait la substance du national-libéralisme modernisateur du PDCI-RDA fut la cause profonde de la scission interne du parti dont résulta le RDR, l’aile républicaine et libérale du parti sous l’impulsion de Djeni Kobinan en 1994 et d’Alassane Ouattara

Dans les années 1990, une dure bataille d’ascendance entre l’aile ethno-nationaliste et l’aile libérale républicaine du parti s’était déroulée au sein du PDCI. Les conséquences de bataille, furent la réforme nationalitaire de la Loi fondamentale en 2000 et ses récupérations opportunistes par divers acteurs de l’échiquier politique ivoirien dans la guerre de succession qui suivit la disparition de Félix Houphouët-Boigny, le Père fondateur.

Il s’agissait d’évincer politiquement l’aile républicaine et libérale du parti pour asseoir l’hégémonie politique et idéologique du nationalisme identitaire dans l’espace politique ivoirien. Le FPI, en qualité de troisième larron, tira les marrons du feu de cette lutte fratricide. Il se dépouilla ensuite de son masque social-démocrate de gauche pour installer une dictature national-populiste à la tête de l’État ivoirien entre 2000 et 2010.

Composée par la réunion des deux courants idéologiques antinomiques auparavant séparés du PDCI-RDA, la coalition RHDP qui se forma contextuellement pour mener la bataille de résistance contre le FPI était donc viciée de l’intérieur. Le rejet du projet d’unification du RHDP signifiait exactement que ses membres ne partageaient pas la même conception de l’houphouëtisme.

 La coalition RHDP s’est scindée donc logiquement scindée. L’aile ethno-nationaliste du PDCI s’est dissociée du programme et du projet d’intégration nationale de type moderniste et citoyen du RHDP. Elle a rejoint dans l’opposition, durant ces élections locales, le FPI  avec lequel elle partage le même discours d’extrême droite et la même vision communautariste de la société et de l’État. Le discours ethno-nationaliste décomplexé des dirigeants du FPI et du PDCI tend à prouver que cette alliance par affinité idéologique, est loin d’être contre-nature comme le pensent certains analystes.

Cette migration du PDCI d’Henri Konan Bédié vers le FPI est une décantation salutaire de la coalition. Elle libère le RHDP qui s’affirme pleinement comme une coalition républicaine libérale composée par un rassemblement volontaire de divers partis du centre.

L’affrontement politique ivoirien met désormais aux prises une majorité républicaine d’obédience libérale et modernisatrice de centre-droit aux contours marqués et une opposition nationaliste d’extrême droite composée d’un bloc identitaire en essai de formation.

 Dans cette configuration bipolaire spécifique, l’on constate l’absence remarquable d’une alternative concurrente socialiste de centre-gauche ou même de gauche radicale du type France Insoumise (FI) de Jean-Luc Mélenchon.

Les Ivoiriens devraient avoir en tête et devant les yeux cette identité réelle des forces politiques qui sollicitent leur suffrage et avoir pleinement conscience des implications et des conséquences concrètes de leur choix. Cette lucidité politique est la condition de la sauvegarde de leur liberté de choix politique, de leur souveraineté, et de leur démocratie.

 

 

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