Démocratie et construction de la nation en Afrique

Bâtir la nation est-elle une tâche aussi importante que travailler à la croissance économique pour réaliser l’intégration de la diversité sociale en démocratie ? Est-il impératif de construire une société nationale pour consolider les États démocratiques et pour mener à bien la tâche d’émancipation généralisée des peuples en Afrique ? Les crises multiformes des États africains s’expliquent-elles par une carence de la nation dans les Républiques et dans les États fédéraux du continent?

En Afrique, l’ère de la démocratie électorale-représentative se conjugue étrangement sous le mode de la crise des États entraînée par la lutte des élites pour le pouvoir. Le processus de démocratisation des régimes politiques s’exprime dans les crises électorales interminables, dans les conflits ethniques et confessionnels et dans les séparatismes comme en témoignent les exemples symboliques de la Centrafrique, du Soudan-sud, et de la Libye. Dans ce tableau étrange, les irrédentismes du Nigeria et du Mali, États démocratiques reconnus, révèlent le problème irrésolu de la construction de la nation démocratique moderne à partir de la diversité ethnique, régionale et confessionnelle. Dans la plupart des États africains, la diversité sociale n’a pas formé un corps politique autonome unifié par le sentiment d’une appartenance et d’un bien communs. Considérés comme des lieux d’exercice d’un pouvoir étranger, les États centraux n’ont pas été reconnus comme des forces politiques légitimes d’une communauté nationale. L’édifice des États territoriaux africains est branlant parce que l’espace de la nation, autrement dit la colonne vertébrale de la communauté politique où se combinent l’État unificateur et la société diversifiée, est bien souvent vide. Dès lors, à l’époque de l’affirmation des particularismes dans le contexte de la mondialisation et de l’affaiblissement des États, les forces locales et les pouvoirs centraux se dressent les uns devant les autres dans un face à face mortel. Le modèle républicain et fédéral d’intégration économique et politique échoua à unifier la diversité en Afrique. Les nationalités ethniques ont résisté à l’égalisation républicaine et à la production de la citoyenneté. La politique d’intégration des forces locales dans les États selon le principe de la géopolitique a, soit produit le clientélisme et la corruption, soit conduit à la fusion de l’État avec la communauté ethnique dominante. Le problème de l’intégration politique et économique ne se résout donc pas par l’intégration des ethnies et des confessions dans l’Etat, ni exclusivement par la croissance économique. L’exemple des irrédentismes du Nigeria et du clivage social et économique générateur des violences en République d’Afrique du Sud l’atteste éloquemment ! Ce qui caractérise les démocraties républicaines et fédérales qui marchent dans le monde n’est-il pas d’avoir créé une nation démocratique autonome et un système politique médiateur entre le monde des communautés, et des confessions et l’État central ? La carence de la nation, organe autonome de médiation, ne peut être palliée ni par un républicanisme homogénéisateur qui brise les particularismes culturels ni par un fédéralisme fondé sur le respect des coutumes et des hiérarchies traditionnelles, ni par l’intégration des ethnies et confessions dans l’État ! Il n’y eut en réalité, en Afrique, malgré les proclamations, ni nation républicaine, ni nation fédérale susceptible de réaliser l’unité de la diversité. Les États africains, dits républicains et fédéraux, ne furent pas des États-nations. L’échec de la République et de la Fédération s’explique par cette carence d’une société politique qui temporalise le régime en réalisant la médiation entre les forces locales et l’Etat. La viabilité de la démocratie libérale-représentative dépend donc de la construction d’une nation de type démocratique, c’est-à-dire d’une société politique autonome qui incarne concrètement ce type de régime dans le temps et l’espace. Le rôle organique de la nation, en tant que tronc et colonne vertébrale d’une communauté politique moderne, est d’établir le lien entre la diversité des appartenances locales et l’unité de la loi commune. Il est de servir de médiation entre les forces locales d’en bas que sont les communautés, les confessions, les diverses organisations particulières de la société civile et la force politique centrale d’en haut qu’est l’État. La nation démocratique n’est ni la communauté ethnique, ni la société civile ni l’État central. Elle s’en distingue et se caractérise par son autonomie par rapport à ces parties différenciées de la société globale. Au dessus des communautés culturelles, des confessions et de la société civile, la nation démocratique est la société politique qui naît de la restructuration de la diversité par les principes démocratiques de liberté, d’égalité de reconnaissance réciproque des droits personnels et collectifs. Elle est le lieu où se noue l’alliance volontaire des forces locales de la société diversifiée avec l’État unificateur. La similarité des différences et la reconnaissance réciproque des altérités qui concrétisent le principe de fraternité se construisent et s’effectuent dans la nation démocratique à travers l’éducation scolaire qui enseigne l’unité et la complémentarité des diverses mémoires, de même que les valeurs universelles et la maîtrise de la rationalité moderne. Par exemple au dessus des ethnies et des confessions, la nation démocratique ivoirienne serait la nouvelle société formée par les membres des diverses ethnies qui se définiraient par dessus tout comme ivoiriens tout en se reconnaissant réciproquement dans les coutumes cultes et confessions des uns et des autres et en partageant comme intime conviction et maxime personnelles les valeurs de liberté, d’égalité, de respect des droits individuels et collectifs qui sont les principes de la République de Côte d’Ivoire. La nation démocratique institue un sentiment de commune appartenance entre les membres d’une société diversifiée. Son unité est l’unité de l’hétérogénéité et de la pluralité. Dans la nation, domaine d’articulation du particulier et de l’universel, s’effectue la gestion politique des tensions sociales et l’arbitrage des intérêts conflictuels, source des compromis qui sauvegardent l’intérêt général. Lieux caractéristiques de la nation démocratique, l’Assemblée Nationale et le Conseil Constitutionnel matérialisent institutionnellement l’autonomie de la société politique qui garantit sa fonction médiatrice entre la diversité et l’unité sous le principe tutélaire de l’intérêt général et du bien commun. L’urgence politique centrale des États démocratiques africains est donc d’engager une politique active de construction de la nation démocratique, lieu de la combinaison harmonieuse de l’unité et de la diversité, de l’universalisme et de la reconnaissance des particularismes. La démocratie libérale-représentative constitue l’unique réponse adéquate à la question de l’intégration économique et politique de la diversité, au sens où elle se réalise concrètement dans la nation démocratique qui accorde l’État unificateur avec la société diversifiée produisant ainsi un État-nation.

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