Prendre parti pour la Nation et la République, en démocratie, n’est pas être partial.

Relativement à la consistance des représentations mentales qui permettent de soutenir la Cité, l’un des effets délétères de la dérive ethno-nationaliste initiée dans les années 1990 dans notre pays,  est la crise du sentiment républicain, de la conscience de l’intérêt général et du bien commun dans une partie non négligeable de notre société civile et de notre société politique.

Repliés sur nos identités communautaires, nos ambitions personnelles et nos intérêts particuliers désormais absolutisés, il semble que nous  ayons perdu de vue l’intérêt général et le bien commun qui nous réunissent dans un même corps politique par delà nos différences et nos divergences. Il semble que nous soyons devenus aveugles à ces références ultimes qui garantissent  nos intérêts particuliers et nos biens privés.

Nous confondons du fait de cette errance, le privé et le public. Nous ne parvenons plus à séparer les espaces publics et les espaces privés. Ne percevant plus que le privé et le particulier, dans une forme de daltonisme mental, nous semblons avoir perdu de vue la Nation et le pacte républicain qui nous réunissent dans un corps politique commun.

Sur les réseaux sociaux et dans le débat public ivoirien, fleurissent symptomatiquement du fait de cette cécité, les accusations de partialité, de marchandisation et d'aliénation des plumes alors même qu’il s’agit d’engagement citoyen, de défense de la pérennité de la Nation et de l’intégrité de la République contre la croissance monstrueuse des particularismes qui menacent de détruire la Cité.

S’affirme alors l’urgence d’une clarification conceptuelle argumentée des notions de partialité et d’impartialité dans une démocratie républicaine pluraliste.

L’impartialité est, en démocratie républicaine pluraliste, l’aptitude individuelle et collective à transcender les particularismes pour défendre la généralité sociale et politique. C’est l’aptitude à prendre parti pour le bien commun et l’intérêt général.

Être impartial, dans une société démocratique c’est se placer à équidistance des affrontements partisans en veillant, en qualité de citoyen, au respect du pacte républicain par les partis politiques en compétition pour l’exercice du pouvoir. Etre impartial c’est évaluer la légitimité des actions et des discours partisans à l’aune de leur accord avec l’intérêt général de la Nation car les partis politiques  sont aussi au service de la société globale par delà les intérêts particuliers de leurs électorats respectifs.

L’impartialité démocratique s’identifie à la défense et au service citoyen de la généralité sociale et politique.  Elle s’exprime dans l’engagement et les prises de position du citoyen qui veille au respect scrupuleux des principes démocratiques et républicains garants du vivre-ensemble. Cette qualité distinctive du citoyen s’affirme dans les activités de surveillance, d’interpellation et de dénonciation démocratique des gouvernants et des partis d’opposition.

Dénoncer le viol du pacte républicain et les agressions perpétrées contre les principes structurants du vivre-ensemble par des partis politiques ou des individus, n’est pas être partial. C’est un acte d’engagement citoyen.

Approuver l’engagement citoyen d’un parti qui, appelle au respect du pacte républicain en le démontrant par le discours et les actions, c’est se tenir au plus près de la défense de l’intégrité de la nation et de l’intérêt général.

Etre partial, au contraire, c’est déserter son poste de citoyen. C’est récuser au profit d’un parti, le principe démocratique de dénonciation, d’interpellation et de surveillance.

 C’est rejeter la généralité au profit de la particularité. C’est nier et combattre  l’intérêt général afin de faire prédominer des intérêts privés et les ambitions personnelles. C’est récuser le bien commun au profit du bien privé. C’est dresser les communautés contre la République. C’est participer  explicitement ou implicitement à la désagrégation de la Cité démocratique en récusant la Nation au profit des communautés. Etre partial dans une démocratie républicaine pluraliste c’est nier la société globale en absolutisant les sociétés partielles. C’est perdre de vue la relation dialectique unissant indissolublement la particularité et la généralité.

Cet engagement actif aux côtés des particularismes  contre la généralité a une face passive. Cette face passive de la partialité est l’indifférence qui relève aussi d’une désertion de la personne devant son devoir de citoyen.

 L’indifférence consiste à refuser de prendre parti quand les particularismes sont agressés par une expansion totalitaire de la généralité mais aussi quand la généralité est attaquée par une croissance monstrueuse des particularismes.

Être indifférent, c’est être insoucieux du pacte républicain qui garantit le vivre-ensemble de la diversité sociale dans une société démocratique. C’est être insoucieux  du respect des principes républicains  dans la vie de la société civile, de la société politique et de l’Etat. C’est rester de marbre devant le viol de ces principes. C’est fuir son devoir de citoyen.

Cette abdication mène à la complicité passive et active dans les déprédations politiques et individuelles qui sapent les bases de la cité.

Le laisser-faire qui précipite les cités humaines dans les abysses de la guerre civile et des crimes de masse prospère toujours sur le terreau de la partialité et de l’indifférence politique, autrement dit la déficience du sens civique. C’est la marque distinctive d’une cité dont l’espace public est déserté, dont les membres, repliés sur la défense de leurs quant-à-soi et de leurs intérêts particuliers mesquins, sont devenus aveugles à la chose publique, aux idéalités et aux valeurs qui garantissent le vivre-ensemble.

L’une des urgences politiques dans notre pays est de reconstruire le sens  de la République, de rebâtir cette conscience de l’intérêt général et du Bien commun, garanties subjectives internes de la pérennité de la Nation.

  

 

 

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