Le remaniement du gouvernement ivoirien expliqué par le système des dépouilles démocratiques.

« Le système des dépouilles (spoils system) est un principe selon lequel un nouveau gouvernement, devant pouvoir compter sur la loyauté partisane des fonctionnaires, substitue  ceux qui sont en place par des fidèles »,  souligne Pierre Rosanvallon qui attire l’attention sur ce principe des gouvernances programmatiques dans les démocraties républicaines en son ouvrage La légitimité Démocratique. Les fidèles auxquels sont confiés des postes de décision et d'action dans le nouveau gouvernement sont les membres qui s’inscrivent pleinement et agissent, par conviction, dans la ligne programmatique et sociétale du parti majoritaire.

Le rôle fonctionnel d’un parti, en démocratie républicaine pluraliste, est de représenter une base sociale, d’en formuler les demandes, d’en défendre, au niveau politique, les intérêts et les conceptions du bien. Il est d'élaborer cet ensemble en projet sociétal et en programme cohérent de gouvernement.

Le parti qui conquiert la majorité électorale durant une présidentielle gouverne pour réaliser le programme politique et économique élu à la majorité des voix. Il lui faut, à cette fin, confier les ministères régaliens et les postes stratégiques de la haute administration aux membres loyaux, idéologiquement convaincus et technocratiquement compétents du parti. L’efficience et la continuité de l’action gouvernementale en dépendent. C’est la tradition des dépouilles démocratiques.

 Quand une majorité libérale prend le gouvernement, elle nomme, conformément à ce principe, des libéraux convaincus dans les ministères régaliens et dans certains postes stratégiques de l’administration afin de réaliser son programme libéral. Quand un parti socialiste obtient la majorité du suffrage, il nomme de même des socialistes convaincus dans les ministères régaliens et dans certains postes stratégiques de l’administration afin de réaliser son programme socialiste. Quand un parti conservateur obtient la majorité du suffrage, il nomme aussi des conservateurs convaincus dans les ministères régaliens et dans certains postes stratégiques de l’administration pour réaliser son programme conservateur.  

Le même principe prévaut dans les grandes coalitions républicaines entre partis d’obédiences idéologiques opposées, entre libéraux et socialistes, unis cependant dans le consensus républicain qui donne à l’ensemble une cohérence de gouvernement comme on l’a vu récemment en Allemagne.

En faisant de l’adhésion pleine et entière au RHDP parti unifié, la condition de l’appartenance au gouvernement à venir la majorité au pouvoir agit dans cette logique des dépouilles républicaines. Il fait montre d’une volonté de cohérence programmatique et d’une continuité d’action gouvernementale dans le sens de la fidélité à un projet de société libéral de type houphouëtiste élu à la majorité des voix en 2010 et en 2015.

Étant entendu que la notion d’émergence exprime l’état de la Côte d’Ivoire qui doit résulter de l’activité modernisation  libérale de type houphouëtiste conduite par le gouvernement RHDP, peut-on alors soutenir, comme le fait un journal ivoirien, que le  nouveau gouvernement à venir est un gouvernement de récompense et non un gouvernement d’émergence ?

Soutenir que le gouvernement à venir est un gouvernement de récompense c’est n’avoir en vue qu’un modèle népotique des dépouilles. C’est faire peu de cas du modèle républicain et démocratique. Le choix exclusif du modèle népotique procède d’une vision du monde anti-démocratique.

Pour réduire les dépouilles au modèle népotique, il faut aussi, assurément, méconnaître la tradition des gouvernances programmatiques. Il faut choisir de considérer que l’affrontement politique est exclusivement motivé par l’accaparement personnel de l’Etat et par une volonté d’en faire un usage arbitraire au service des intérêts particuliers de son détenteur.

Cette interprétation faussée a deux causes. D’une part elle relève de la mauvaise foi. D’autre part elle est causée par l’ignorance de la fonction des institutions ou des logiques régissant les systèmes démocratiques.

On a ainsi vu, il y a de cela quelques mois, des intellectuels et des politologues ivoiriens récuser le bicamérisme en Côte d’Ivoire alors qu’il ne s’agissait que de donner une représentation parlementaire aux collectivités territoriales, de compléter la représentation citoyenne par une représentation des identités culturelles afin de coller au plus près de la représentation démocratique de la diversité sociale ivoirienne.

Ce nouvel épisode de soupçon jeté sur la mise en œuvre, habituelle dans le monde, du système des dépouilles républicaines en Côte d’Ivoire, semble donc faire peu de cas du logiciel fonctionnel du régime de la démocratie républicaine.

 La polarisation personnaliste de l’affrontement politique ivoirien, le refus obstiné, par un certain nombre d’acteurs politiques, par les intellectuels organiques des partis  et une partie de l’intelligentsia ivoirienne, de soulever la problématique du débat programmatique et sociétal sont symptomatiques d’une méconnaissance ou d’un choix délibéré.

Pour considérer que le nouveau remaniement du gouvernement est exclusivement motivé par le souci d’assurer la pérennité de la dynamique d’émergence, il faut admettre que la gouvernance du parti majoritaire RHDP est  une gouvernance libérale inscrite dans la continuité de l’Houphouétisme. Il faut la saisir comme une gouvernance soucieuse de redéfinir une nouvelle combinaison des identités et de la modernité.

 Il faut pouvoir comprendre qu’il s’agit de promouvoir l’intégration de la diversité ivoirienne dans la globalisation économique tout en préservant la Côte d’Ivoire des ornières du nationalisme identitaire.

Il faut pouvoir  faire des problématiques de la modernisation, de l’articulation de l’investissement et de la redistribution, des thématiques de la liberté et de l’égalité, les points nodaux de la critique experte d’une gouvernance libérale ou d’une gouvernance socialiste.

Il est donc important de nous situer  sur le terrain de la politique conceptuelle en Côte d’Ivoire, de la politique des programmes, et des projets sociétaux afin de saisir l’intelligibilité des gouvernances et de pouvoir formuler des critiques constructives qui font avancer le pays.

 

1 commentaire

Tout à fait d’accord. Malheureusement, il faut compter avec la subjectivité et la mauvaise foi du côté de la perle des lagunes…

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