L’alternance, oui mais… quels sont les programmes politiques des opposants en Côte d’Ivoire?

Quels sont les programmes politiques et les projets sociétaux des opposants ivoiriens face au programme et au projet sociétal libéral du gouvernement RHDP? Quelles visions économique, sociale et politique alternatives inclusives ont-ils à proposer au peuple ivoirien?

Les principes réglant l’alternance formelle du pouvoir en démocratie sont constitutionnellement écrits. Néanmoins, quoique non écrite,  l’exigence faite à tout candidat d’assortir d’un programme politique et d’un projet sociétal inclusifs, sa prétention à exercer le pouvoir suprême est un impératif démocratique de droit. C’est une évidence juridique et politique. Le programme alternatif est la dimension substantielle qui justifie l’exigence formelle d’alternance car le Pouvoir démocratique est le moyen d’une fin plus haute. En démocratie le Pouvoir sert à organiser la coexistence de la diversité sociale dans le respect des droits individuels et collectifs.

Piaffant d’impatience devant l’antichambre du pouvoir d’État sans carte d’identité partisane précise  ni programme explicite  qui  donneraient aux leaders d’opposition le droit de prétendre à l’exercice du pouvoir suprême,  il nous semble, à nous citoyens ivoiriens dépositaires de la Souveraineté, que ces candidats identifient l’alternance démocratique du pouvoir à une succession mécanique de convives politiques autour d’une table de buffet à volonté remplie de victuailles. Ces pièces d’identité politique sont pourtant indispensables à la qualification pour l’exercice du pouvoir suprême dans un État de droit et dans une démocratie républicaine pluraliste.

Engagés dans une dynamique d’instrumentalisation populiste opportuniste des mouvements sociaux et des revendications syndicales, comme en témoignent les divers positionnements inquiétants de certains éléments de la société politique face à la société civile  durant la récente surchauffe du front social, (cf. "L'instrumentalisation politique des faits divers dans la guerre de succession en Côte d'Ivoire". cedea.net, 21 Mai 2018) , il nous semble que ces leaders d’opposition se dispensent  d’agréger les demandes sociales de leurs électorats auxquels ils imposent des mots d’ordre d’appareils et qu’ils utilisent comme ressources politiques.

Ils semblent donc réduire le pouvoir d’État à un patrimoine personnel dont ils désirent faire un usage discrétionnaire au détriment des intérêts sociaux du peuple. Ils appellent à boycotter le vote ou à se rendre aux urnes selon leurs agendas d’appareils afin de légaliser leurs contestations ou leur prise du pouvoir. Autrement dit, ils soumettent l’électorat à leur arbitraire.

Cette propension à sacraliser l’alternance sans pour autant sacraliser la condition qui la justifie,  autrement dit les programmes et les projets sociétaux, nous laisse voir, nous citoyens Ivoiriens membres de la société civile dépositaires ultimes de la Souveraineté,  qu’ils  fétichisent le pouvoir.

L’alternance du pouvoir en démocratie est une alternance de programmes politiques et de projets sociétaux qui s’inscrivent dans une continuité ou une discontinuité d’obédience idéologique. Lorsque l’on réclame l’alternance du pouvoir en s’autorisant de se dispenser de la condition qui la justifie, on se prépare à  faire du pouvoir un usage arbitraire au détriment du peuple. (cf."L'opposition ivoirienne nous prouve-t-elle qu'elle est capable de mieux diriger le pays?" cedea.net, Février 2018)

Une telle attitude justifie la crise de confiance que la majorité du peuple nourrit à leur égard comme en témoignent les échecs récurrents  de leurs différents appels à manifester et les coalitions qu’ils tentent vainement d’échafauder car ils veulent tous le pouvoir suprême.

Cet objectif égoïste, sacré et non négociable pour chaque candidat annonce une guerre potentielle interne entre les camps de l’héritage patrimonial, les camps du national-populisme à prétention révolutionnaire, et les camps de la transition générationnelle. Cet agenda conflictuel  les conduit  à faire fi du programme démocratique qui subordonnerait leur pouvoir au contrôle du peuple ivoirien.

L’appel à la réforme de la CEI ne constitue  pas un programme politique, surtout lorsqu’ils identifient cette institution à un lieu de défense des intérêts particuliers partisans. Une telle représentation fait perdre de vue la Nation qui transcende les particularités. Elle rend impossible l’impartialité. La « réconciliation nationale », thématique valise du nationalisme différentialiste, l’appel à libération de Laurent Gbagbo et des fauteurs politiques et militaires de la guerre civile, ne constituent ni un programme économique, ni un projet sociétal. Le débat démocratique ne se réduit pas non plus aux débats procéduraux.

Le peuple ivoirien, qui ne se réduit pas aux militants des partis politiques ni à leurs intellectuels organiques respectifs, attend donc impatiemment que les candidats déclarés ou potentiels de la mouvance de l'opposition ivoirienne, pressés d'exercer le pouvoir, lui déclarent leur identité partisane, leur programme économique et leur projet sociétal. La légitimité des candidatures en démocratie est conditionnée par cette exigence irréductible.

En démocratie, on vote des programmes politiques et des projets sociétaux cohérents incarnés par une personne et formulés explicitement par des partis. Cette exigence non négociable est la condition objective de la liberté du choix politique du peuple. Elle s’impose aux candidats potentiels qui doivent impérativement s’y soumettre. Il n’y a de liberté de choix politique que lorsque le peuple sait quelles seront la politique économique, la politique sociale, la politique intérieure et la politique étrangère des candidats qui sollicitent son vote à une élection présidentielle.

Maintenir le peuple dans l’ignorance de ces programmes et de ces projets sociétaux partisans, polariser le débat sur les procédures pour faire diversion,  s’apparente à une escroquerie politique. Cette attitude politique anti-démocratique provoque la défiance légitime envers une alternance dénuée de programmes et de projets sociétaux alternatifs et dépourvue de débats programmatiques susceptibles d’éclairer le choix des électeurs. Le peuple ivoirien refuse ce nouvel aventurisme similaire à celui de 2000 dont il porte encore les marques douloureuses en son âme et dans sa chair.

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