Travaux et Etablissements publics en Côte d’Ivoire : devoir de la République et symboles d’une politique de modernisation.

L’indigence des infrastructures et des équipements publics, des routes et des ponts dans la plupart de nos États en Afrique, n’est pas exclusivement causée par l’indigence des ressources financières internes et par la dépendance économique. Le dénuement infrastructurel emblématique des émirats pétroliers africains le prouve. Cette indigence des équipements publics est la traduction spatiale de la reproduction systématique et délibérée des anciennes structures et rapports sociaux pré-coloniaux. Elle exprime le maintien des hiérarchies séculaires qui garantissent la perpétuation de l’ordre établi et le contrôle de la société par le pouvoir politique dans les États pré-modernes.

La prépondérance de l’économie de subsistance et de rente en Afrique, en ce 1er quart du XXIème siècle, est celle d’un mode de production et de consommation qui permet de perpétuer les mécanismes de reproduction sociale et de bloquer le changement historique au profit des dominants lignagers (cf « Les causes endogènes de la pauvreté en Afrique Noire » cedea.net Décembre 2015). La priorité politique est de maintenir l’homogénéité communautaire et les hiérarchies sociales, de proscrire le changement et l’innovation technique et culturelle qui pourraient bouleverser l’ordre établi. Elle est d’assurer la reproduction des rapports sociaux de subordination entre le haut et le bas, entre l’élite et la base de la société.

Les propos étranges des représentants ivoiriens du nationalisme identitaire et du conservatisme social, parlant d’exhibition d’infrastructures et délégitimant la politique de travaux et d’Établissements publics du gouvernement ivoirien, traduisent la vision du monde de ce traditionalisme passéiste. Cette Weltanschauung rétrograde est en contradiction avec les exigences de la modernité politique économique et sociale.

Selon Adam Smith, l’un des devoirs cardinaux du Souverain ou de la République est de construire les infrastructures et les équipements publics qui servent à étendre l’instruction parmi le peuple et à faciliter le commerce de la société. Ces travaux et Etablissements publics permettent de promouvoir l’égalité et la liberté des peuples. Favorisant le commerce, l’instruction du peuple, les échanges, le développement des forces productives, ils sont des instruments de mobilité sociale. Ils permettent de transformer les conditions d’existence et de changer les cadres mentaux et les valeurs. Facilitant la rencontre entre les peuples et mettant en relation les diverses parties de la cité, outils d’intégration nationale du territoire et moyens de production de la richesse nationale, les grandes routes, les ponts et les équipements publics permettent de briser les anciens rapports sociaux de production. Ils permettent d’émanciper une société, d’industrialiser une économie et de développer un pays.

La proclamation de la vanité des infrastructures et les équipements publics, des ponts et des routes, qui ne réconcilieraient pas et ne donneraient pas à manger selon les auteurs de cette récusation, est donc lourde de sens.

Cette récusation exprime une vision anti-moderniste et antilibérale de la politique, de l’économie et de la société. Elle traduit une mentalité du terroir qui conçoit le village et l’économie de subsistance comme modèles sociaux et économiques normatifs. Elle en appelle au maintien des anciens régimes et elle porte en creux une vision autocratique du pouvoir.

Les autocrates et les despotes règnent en organisant systématiquement le dénuement matériel et moral des populations. Ils établissent leur pouvoir sur l’atomisation, la division et le cloisonnement des peuples.

 La gouvernance nationalitaire, clivante et antilibérale du FPI, qui avait concrètement incarné cette vision en Côte d’Ivoire, s’était symboliquement traduite par la précarisation des infrastructures et des équipements publics, par l’indigence des ponts et des routes. Elle s’était établie sur l’enfermement matériel et mental des populations dans les terroirs, et sur le renforcement politique des liens lignagers qui définissent l’identité en l’opposant à la citoyenneté et à l’ordre républicain. Elle s’était emblématiquement illustrée par l’anéantissement final des infrastructures dans une politique de la terre brûlée quand le régime fut convaincu d’avoir perdu le pouvoir.

 Inspiré par une dynamique de transformation des structures et de mouvement vers l’avenir, qui est la dimension économique de la citoyenneté, le modèle libéral du RHDP bat en brèche le modèle antilibéral du nationalisme communautaire. Ce dernier est inspiré par une dynamique inertielle de conservation des anciennes structures et de régression vers le passé.

Comme l’a démontré, de manière emblématique, la gouvernance ethniciste du FPI, les nationalistes africains, qui en appellent à la révolution, l’envisagent en réalité  comme retour aux formes politiques, économiques et sociales du passé précolonial. Leur révolution n’est pas conçue comme rupture des modèles du passé, innovation et invention d’un nouveau modèle égalitaire et libertaire.

Ce passéisme caché, dissimule une vision réactionnaire et conservatrice de la politique, de la société et de l’économie. L’attraction réciproque entre le FPI, prétendument socialiste et révolutionnaire, et la fraction identitaire conservatrice du PDCI est une convergence idéologique et programmatique des forces antilibérales et antidémocratiques en Côte d’Ivoire.

L’âpreté du combat du RHDP contre le FPI, et contre ses divers satellites et figures, telles la CNC en 2015 et EDS aujourd’hui, est fondée dans le caractère antinomique de leurs programmes et de leurs projets sociétaux. C’est le combat du progressisme démocratique innovateur contre le nationalisme passéiste régressif et le populisme despotique antilibéral.

Les commentaires sont fermés