L’équation politique et le problème africains à travers le prisme de la Côte d’Ivoire.

L’équation programmatique africaine consiste à rattraper le retard politique économique et social des États du continent en un moment où, dans l'économie mondialisée, prévalent les tentations de fermeture nationaliste et de repli sur les identités ethniques. Pour combler ce retard, il faut relier des impératifs contradictoires afin d’accorder nos corps politiques aux nouvelles formes de rationalités économique, politique et sociale. Il faut concilier la rationalité instrumentale et la rationalité culturelle, le marché et la solidarité, la liberté et l’égalité.

Au niveau politique, il faut bâtir un Etat démocratique à la fois libéral et social,  acteur de développement et redistributeur, dans le cadre de l’économie libre de marché. Il faut construire la nation démocratique et la citoyenneté tout en respectant les identités culturelles. Il faut participer pleinement au libre-échange dans l’économie mondialisée tout en défendant la souveraineté et les intérêts nationaux contre l’emprise des acteurs dominants du marché international. Il faut construire l’Etat-nation, au moment où la problématique politique est de construire des ensembles transnationaux intégrés dans l’économie mondialisée.

 Le premier quart du XXIème siècle est en voie d’être parcouru, et peu d’États africains ont réussi à réaliser l’intégration nationale de leurs peuples qui demeurent encore divisés en ethnies, en confessions, en régions antagonistes aux prises pour la conquête et l’appropriation de l’Etat.

La problématique générale est donc de franchir l’étape de la fragmentation communautaire pour parvenir à celle de la société civile. Elle est de dépasser l’étape de la domination despotique de la société par l’État et de parvenir à subordonner l’État aux besoins de la société. Elle est de réaliser l’intégration nationale des États. Elle est de construire, dans les territoires, un État-nation serviteur de l’intérêt général. Elle est de bâtir par delà les frontières et les régions du continent, l’unité supranationale des États-nations africains.

Le problème africain consiste dans le dissensus de l’intelligentsia et des acteurs politiques, relativement à cette équation vitale.

Résolument progressistes, certaines élites politiques intellectuelles africaines prennent acte de ce retard et cherchent à le combler en s’engageant activement dans la modernisation qui, par définition, consiste à marier les héritages culturels aux nouvelles formes de rationalité instrumentale. Tel fut le choix politique des acteurs ivoiriens de la lutte anticolonialiste, sous la direction de Félix Houphouët-Boigny.

Ce modèle ivoirien est aujourd’hui repris par la majorité RHDP au pouvoir en Côte d’Ivoire. Sa profession de foi démocratique et libérale montre que son choix est de médiatiser l’économie de marché par la démocratie pour construire un développement endogène.

La réalisation de cet objectif est néanmoins soumise à l’impératif de travailler à la séparation des systèmes et des sous-systèmes du corps politique ivoirien. L’efficience de l’administration et du système politique dans le traitement des conflits d’intérêts, la gestion idoine des asynchronies et des contradictions entre les impératifs d’investissement et ceux de redistribution des produits de la croissance, dépendent de cette séparation et de cette coordination des systèmes et des sous-systèmes.

Cette vision libérale est cependant récusée par certains acteurs politiques, intellectuels et sociaux africains. Rassemblés dans une mouvance dite anti-colonialiste d’inspiration marxiste-léniniste et maoïste, ils se réclament d’une gauche antilibérale. Selon eux, l’équation politique africaine ne se pose pas en termes de retard à rattraper, car les dysfonctionnements politiques, économiques et sociaux de l’Afrique, estiment-ils, sont liés à la destruction des formes économiques, sociales, nationales, étatiques traditionnelles africaines par la colonisation et l’importation des infrastructures et superstructures de la modernité occidentale.

Ils estiment que le type d’économie, de nation, d’État importé par la colonisation pose problème. Ils rejettent l’économie libre de marché, récusent la forme pluraliste et républicaine de la démocratie. Ils contestent l’hétérogénéité de la nation et de la société qu’elle implique. Ils prônent, par conséquent, un retour aux modèles pré-coloniaux. Leur aspiration est de reconstruire en Afrique des sociétés et des nations ethniquement homogènes. Ils en appellent pour cela à la redéfinition des frontières. Ils érigent les communautés et les valeurs villageoises en modèles sociaux et axiologiques normatifs. Ils prônent le retour au terroir et aux anciens régimes.

Ce dissensus fondamental entre les libéraux africains de droite et de gauche qui regardent vers l’avenir et les antilibéraux africains qui regardent vers le passé, écartèle les corps politiques africains entre deux forces divergentes cheminant en sens contraires. Cette tension produit un effet inertiel qui tend à bloquer toute transformation structurelle qualitative et à empêcher toute innovation. Sur le théâtre politique local ivoirien se déroule de manière schématique ce combat des forces de changement et d’innovation contre les forces conservatrices et passéistes dont l’Afrique est le théâtre général. L’issue du combat politique ivoirien influencera à coup sûr, en bien ou en mal à l’échelle régionale, à tout le moins, le cours des évènements relativement à la problématique des transformations structurelles et axiologiques requises en Afrique pour  faire face aux défis du XXIème siècle. (A suivre)

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