Comment préserver la démocratie ivoirienne contre le péril identitaire et populiste ?

Pour respecter le critère démocratique de souveraineté du peuple et de liberté du choix politique, relativement à la problématique du parti unifié RHDP, il faut donner la parole aux bases partisanes. En Côte d’Ivoire, les parties prenantes de cette coalition politique en appellent, à juste titre, au respect de ce principe cardinal de la démocratie.

Néanmoins, dans les démocraties républicaines pluralistes, le respect de ce principe est soutenu par le sentiment partagé de citoyenneté dans la société civile et la société politique. La culture de la citoyenneté conduit à voir en l’Autre un égal. Elle fait de la garantie de la liberté et de l’égalité des membres de la cité le fondement de la légitimité du pouvoir politique. Le sentiment de citoyenneté et la conviction républicaine forment la substance de la souveraineté populaire. Ils constituent l’assurance de l’action démocratique des partis.

Un parti politique pourrait-il, pour cela, refuser de consulter sa base dans une démocratie républicaine pluraliste, quand sa haute direction estime qu’en raison d’une crise interne de citoyenneté, cette consultation risquerait de mettre en péril la pérennité idéologique et programmatique du parti et de porter atteinte à la sauvegarde de l’intérêt national?

La démocratie repose sur deux piliers de soutènement. Premièrement, le pouvoir politique doit être limité par les droits fondamentaux de la personne pour en empêcher l’arbitraire. Deuxièmement, l’absoluité de la souveraineté populaire doit être limitée par la conscience de la citoyenneté et l’efficience de la raison publique pour empêcher le despotisme du nombre et les errances de la déclaration de la volonté générale.

Quand le pouvoir du peuple n’est pas éclairé par la vision de l’intérêt général, et limité par le sentiment de citoyenneté, la pression populaire peut mener à des gouvernements populistes ou terroristes.

Quand les électeurs ne se considèrent pas comme membres d’une société politique dont ils doivent assurer la pérennité par leur vote, pour préserver la liberté et l’égalité de tous et de chacun comme citoyens, l’expression de la souveraineté populaire peut accoucher d’un Etat totalitaire.

Quand les électeurs ne se considèrent pas comme citoyens, mais comme ressortissant d’une famille, d’un village, d’une ethnie ou d’une confession, l’élection démocratique peut mener à un pouvoir communautaire.

Ce despotisme du nombre, qui ouvre le risque de la dictature dans la démocratie, est bien connu. Dans les jeunes démocraties africaines, ce risque est grand. Il est énorme dans le contexte de la montée des nationalismes et des populismes, quand le sentiment de citoyenneté des populations est faible. Il est immense quand l’instrumentalisation politique de l’ethnicité et la démagogie populiste travaillent à corrompre le peuple pour qu’il ne s’aperçoive pas des ambitions de pouvoir des acteurs politiques qui l’utilisent comme ressource.

 Aux débuts de la jeune démocratie multi-partisane ivoirienne, dans les années 1990, la pression populaire avait conduit, une dizaine d’année plus tard en 2000,  à une dictature nationaliste-populiste, en raison de la crise du sentiment de citoyenneté, de la perte de conscience civique et de l’anomie qui s’était installée dans la cité.

Depuis 2011, le travail d’intégration politique du pays et la reconstruction de la citoyenneté, du sens civique et d’un sentiment de commune appartenance sont en bute au travail de sape mené par les forces ethno-nationalistes et populistes, qui constituent le gros des bataillons de l’opposition ivoirienne. Depuis 2015, le sentiment de protection du bien commun national et de l’intérêt général est attaqué par les ambitions de pouvoir d’acteurs politiques qui, au sein même de la coalition RHDP, trahissent leur profession de foi républicaine au profit d’alliances aventureuses avec ces forces.

En Côte d’Ivoire, la problématique de la sauvegarde électorale de la démocratie républicaine et de son projet sociétal doit être envisagée comme un combat contre la déficience du sentiment de citoyenneté dans le peuple et dans une partie de la classe politique.

Comment faire en sorte que, dans le contexte de la montée des nationalismes et des populismes, la pression populaire, au lieu de mener à un gouvernement populiste ou terroriste, permette la victoire d’un gouvernement démocratique respectueux de la liberté et de l’égalité ?

Comment maintenir un front républicain quand ce dernier tend à se fissurer, en raison de la déficience du sens de la citoyenneté au sein du PDCI, partenaire important de la coalition RHDP ?

La solution de ce problème gravissime repose sur la prise de conscience lucide de la déficience de la citoyenneté, et sur la déconstruction impérative des démagogies et des impostures dans notre pays.

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