Reconstruction des infrastructures en Côte d’Ivoire et réconciliation nationale : quelle relation?

En Afrique et partout dans le monde, les séparatismes, les sécessions, les divisions sociales et les guerres civiles proviennent de la déficience de l’intégration nationale du territoire. Ils naissent de l’exclusion de populations entières par des Etats qui, bien souvent, comme en Côte d’Ivoire dans les années 1995 jusqu’en 2010, constitutionalisent cette ségrégation. Ces problèmes surgissent de ce que l’État central abandonne et déserte des pans du territoire laissant les populations dans la déréliction et dans une précarité des conditions d’existence. Cet abandon se constate par la faiblesse de la redistribution en termes d’infrastructures et d’équipements publics.

Ces infrastructures sont les supports matériels de l’égalité et de la liberté, droits naturels fondamentaux de la population, que l’État doit garantir. Le vivre-ensemble, la conciliation nationale de la diversité sociale, dont procèdent la paix sociale et la stabilité politique, dépendent  donc de  l’intégration nationale des collectivités territoriales. Cette intégration nationale du territoire s’effectue à travers les actions de l’État opérant comme acteur de développement.

Les équipements publics, les infrastructures, les ponts et les routes unifient politiquement le territoire. Ils améliorent les conditions de vie des populations, et favorisent l’activité économique et les échanges. Ils donnent aux populations le sentiment que cet État est à leur service et leur appartient. Ils permettent aux populations de s’approprier l’État.

La plupart des États de l’Afrique sub-saharienne, à l’exception majeure de la Côte d’Ivoire jusqu’à la parenthèse des années 1995-2010, années de rupture l'Etat modernisateur ivoirien, n’avaient pas intégré cette dimension économique de l’intégration nationale. Beaucoup ne retinrent que la dimension politique, constituée par le contrôle politique des populations du territoire par un Etat central dominateur et confiscatoire. Ils adoptèrent le modèle de l’Etat comme instrument de contrôle politique des populations qui devaient être maintenues dans un état de précarité d’existence, support matériel de l’inégalité et de la dépendance, afin que la domination et l’exploitation en soient facilitées.

Le spectacle de la précarité des infrastructures et des équipements publics, reflet de la division sociale, et la dissociation entre pouvoir politique et société, tels qu’on les constate dans bon nombre de pays africains, résultent de cette mentalité autocratique et coloniale. Lorsque j’ai entendu certains proches compagnons de Félix Houphouët-Boigny, l’antithèse historique de cette vision colonialiste, condamner les infrastructures en soutenant scandaleusement que les équipements publics étaient, en notre pays, une exhibition politicienne, j’ai été estomaqué et stupéfié.

 Promouvoir les investissements, reconstruire les infrastructures et doter un pays en équipements publics, c’est construire une société d’égaux et de semblables ; c’est garantir l’expression de la liberté ; c'est travailler à l'intégration nationale des populations d'un État soucieux du bien-être et des conditions de vie de ses habitants. Les infrastructures affirment la présence de l’État auprès des populations sur toute l'étendue du territoire national. Elles leur montrent que la puissance publique est un service public soucieux de leurs droits et de leurs demandes.

Les infrastructures permettent, selon l’expression de Pierre Rosanvallon, d’instaurer «  une dignité minimale des conditions de vie, qui donne une forme sensible au fait de la concitoyenneté ». La citoyenneté n’est pas une déclamation, c’est une condition de vie plus exactement une égalité des conditions de vie des populations.

Les ponts et les routes sont les conditions matérielles de l'égalité et de la liberté, de la coexistence et de la reconnaissance, bref du vivre-ensemble. Cette dimension substantielle de la réconciliation nationale a toujours échappé aux autocrates et aux tenants du nationalisme ethnique qui pensent la réconciliation politique en termes d’homogénéisation communautaire pilotée par un État nationalitaire. La réconciliation nationale par le biais des infrastructures a toujours échappé aux acteurs politiques préoccupés de domination et de tutelle qui refusent l’expression de la diversité et l’émancipation économique des peuples. Elle a toujours échappés aux ethno-nationalistes obsédés par les racines, par le terroir et la pureté du sang. Elle n’est jamais perçue par ces acteurs politiques qui pensent la réconciliation nationale en termes de purification ethnique et d'homogénéisation communautaire, d'installation d'un État communautaire sur la Constitution des coutumes, de rassemblement d’un peuple culturellement homogène dans des frontières ethniques.

En Côte d’Ivoire, la réconciliation nationale ne doit plus être évaluée à l’aune de la réconciliation personnelle des acteurs politiques. Elle doit être évaluée à l’aune du consensus nationale sur les valeurs de la démocratie républicaine pluraliste. Elle doit appréciée selon  l’intégration nationale du territoire au moyen des investissements, de la redistribution du produit national à travers les infrastructures. Elle doit être mesurée à l’aune du progrès de  l’égalité de condition et de l’élévation du niveau de vie des populations.

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