Côte d’Ivoire : le PDCI peut-il « aller prendre le pouvoir avec qui acceptera de venir à lui » ?

Le PDCI « ira prendre le pouvoir avec qui acceptera de venir à lui ", dit Charles Konan Banny, l’une des figures emblématique du courant identitaire du parti. D’un point de vue purement démocratique, ce propos est-il politiquement rationnel ?

Pour interpeller de manière critique la pertinence de ce propos, il importe, tout d’abord, de préciser qu’en démocratie le pouvoir du peuple est inappropriable. De même que tous les partis politiques ivoiriens, le PDCI ne pourra pas « aller prendre » le pouvoir parce que la Côte d’Ivoire est une démocratie. Le pouvoir du peuple est inaliénable. Il n’est la propriété de personne.

 Ce point étant précisé, il faut en convenir, le choix de ses alliés dans la compétition électorale, en vue de sa sélection par le peuple à travers le vote majoritaire, est une prérogative inaliénable du PDCI. Le PDCI  peut donc bel et bien  s’allier « avec qui acceptera  venir à lui». Néanmoins, n’étant pas propriétaire du pouvoir démocratique ivoirien, il ne peut pas « aller prendre le pouvoir « avec qui acceptera de venir à lui ». Charles Konan Banny aurait donc dû dire que « Le PDCI s’alliera avec qui acceptera de venir à lui  pour solliciter le vote majoritaire des Ivoiriens».

 Il est alors essentiel de faire remarquer, à partir de là, que cette option d’alliance avec le tout-venant est une renonciation délibérée à la lucidité qui définit le choix politique comme choix éclairé par la raison. Choisir d’unir, de manière hasardeuse et indiscriminée, le PDCI "à qui veut bien venir à lui", y compris aux moins recommandables, c’est livrer le PDCI aux contingences et aux agendas cachés d’éventuels partenaires. C’est le choix de l’imprudent, du pur empirique, qui comme le souligne Aristote, vit au jour le jour, sans principes et sans perspectives. Prisonnier des déterminismes, incapable pour cela de s’élever au dessus des conditions subjectives particulières du jugement, il perd la perspective dominante qui lui permettrait de juger et décider avec discernement.

Choisir « de s’allier avec qui acceptera de venir avec soi », c’est choisir de gouverner avec n’importe qui. C’est le choix du mauvais politicien qui, perdant de vue l’universel et rapportant le pouvoir à soi, ne considère que le particulier et ne voit dans le pouvoir qu’une propriété privée.

Le bon politique relie, au contraire, le particulier à l’universel. C’est l’homme de la phronésis, des vues d’ensemble, qui  voit dans le pouvoir un moyen pour la vie bonne et heureuse de la communauté politique qu’il dirige. Le bon politicien qu’anime la phronésis ne saurait pour cela consentir à « s’allier avec qui acceptera de venir à lui » pour gouverner.

La faculté proprement politique n’est pas la faculté de savoir cheminer empiriquement ,par la ruse, dans les conditions de la particularité. Elle n’est pas la faculté de savoir calculer pour atteindre habilement des fins privées. La faculté proprement politique est le jugement qui consiste en l’aptitude à pouvoir adopter une perspective dominante qui transcende les particularismes. Juger en politique signifie subsumer les particularismes sous les universaux qui rendent possible le vivre-ensemble dans la reconnaissance réciproque. Ces universaux sont la liberté, l’égalité et le bonheur des concitoyens qui, dans la politique moderne, donnent sens aux particularismes.

Cette aptitude au jugement est la condition de possibilité des décisions politiques éclairées, car le but final de la politique moderne est la liberté et la vie bonne des concitoyens dans l’égalité de condition. Telle est la raison d’être du Pouvoir démocratique moderne. Le but final de la compétition démocratique est la défense et le service des droits individuels et collectifs. Dénué de ces fins ultimes, le pouvoir n’est qu’un moyen de domination et d’oppression.

Mr Charles Konan Banny, ne vous en déplaise, le PDCI un parti conservateur libéral de centre-droit, d’obédience humaniste et d’orientation universaliste, ne devrait pas "aller prendre le pouvoir avec qui acceptera de venir à lui ", comme vous l’avez dit dans le Nouveau Réveil. Félix Houphouët-Boigny, le géniteur du PDCI-RDA et le Père de la Nation, sélectionnait en son temps ses alliés dans la lutte anticolonialiste pour l'Indépendance de la Côte d'Ivoire qu'il a voulu citoyenne, en même temps que respectueuse des identités ethniques. Houphouët-Boigny n'aurait jamais accepté de s’allier à des serpents venimeux ou à des factions politiques aux mains sanguinolentes pour prendre le pouvoir. Il n'a ni instrumentalisé les identités ethniques, ni pris le pouvoir afin d'en user comme d'une propriété lignagère ou privée.

En démocratie, le pouvoir n'est ni un trône, ni un héritage, ni une propriété lignagère ou personnelle. Yamoussoukro est la capitale politique de la Côte d'Ivoire citoyenne, et non pas la capitale politique d'une ethnie.

Je considère gravissime et quasiment irresponsable (vous voudriez bien m'excuser ce terme) que vous ayez eu ces propos significatifs qui recouvrent de graves sous-entendus, après la réunion du RDR à Yamoussoukro. L'affrontement politique démocratique n'est pas régi par le principe d'habilité, et tous les moyens ne sont pas bons pour prendre le pouvoir. Le RDR semble avoir réussi à se hisser au niveau des principes pragmatiques de la raison pratique qui subordonne la politique aux impératifs hypothétiques de la prudence, et même aux impératifs catégoriques de la morale. Votre faction, qui est manifestement minoritaire à l'intérieur du PDCI, semble se situer très en dessous, au niveau des principes d'habileté qui finissent toujours par perdre politiquement tous ceux qui s'y laissent prendre.

Les commentaires sont fermés