Réconciliation nationale ivoirienne : un décryptage critique de l’appel de Daloa adressé par le Ministre Djédjé Mady au Président de la République.

Qu’il me soit permis de citer in-extenso, ce passage caractéristique du propos du Ministre Djédjé Mady qui campe, de manière archétypale, le discours de réconciliation nationale devenu le leitmotiv de nombreux hommes politiques ivoiriens : « Nous lançons-dit le Ministre Djédjé Mady-un appel, au nom de l’Ouest, au nom du Grand Ouest, à la mobilisation pour la paix sans laquelle tout le reste est vain. La Côte d’Ivoire est aujourd’hui un des rares pays africains à avoir des détenus en international. Nous avons des détenus à La Haye, nous avons une multitude de réfugiés qui se trouvent encore dans les pays environnants malgré, je suis sûr, les efforts que le président de la République Alassane Ouattara faits pour que la paix revienne. Oui, la Côte d’Ivoire est l’un des rares pays où les journaux peuvent encore, quelques matins, titrer la condamnation à 10 ans, 20 ans, de tel ou tel cadre, dans cette crise politique". 

Je cite donc ce propos afin de déployer les interprétations critiques légitimes qui peuvent en être faites parce que la vision communautaire de la nation et le discours identitaire qui furent la cause de cette crise demeure encore prégnants en certaines factions de la société politique ivoirienne.

Le Ministre Djédjé Mady, un houphouëtiste qui rappelle dans son propos que « quelle que soit notre opinion politique, nous devons vivre et travailler ensemble », ne partage assurément pas  cette vision communautaire de la nation et n’est pas un adepte du discours identitaire et du national-populisme. Son appel pourrait cependant prêter à équivoque car ceux dont il plaide l’amnistie présidentielle tiennent à une conception de la cité qui rend impossible le vivre-ensemble démocratique et républicain.

Jusqu’aujourd’hui, les détenus ivoiriens de la Haye qui soutenaient une conception identitaire de la Nation et de l’Etat,  dont procédèrent la réécriture du code de la nationalité et  la guerre civile, ne l’ont jamais publiquement révoquée et reniée. Ils continuent de se considérer comme dépositaires légitimes du pouvoir en tant qu’autochtones. Certains acteurs politiques, qui tiennent le discours de la réconciliation nationale, ont inauguré en direction de la Haye une sorte de pèlerinage en guise d’allégeance et d’adoubement.

Cette réalité obère quelque peu la sagesse apparente des propos du Ministre Djédjé Mady qui semble justifier la position victimaire, lourde de sens, dans laquelle se complaisent les détenus de la Haye. L’appel de Daloa semble faire peu de cas de la réactivation du discours identitaire dans la société politique ivoirienne.

Ce fait historique amène à penser que la thématique de « la réconciliation nationale » est une thématique valise dans laquelle se cache la revendication identitaire, la vision communautaire de l’État et l’appel à la restauration d’un État communautaire dirigé par des autochtones.

N’a-t-elle pas été imposée comme sujet central de la Présidentielle 2020 au détriment du débat programmatique et sociétal  qu’appelle toute élection et notamment l’élection présidentielle en démocratie ? Le retissage démocratique des liens d’appartenance citoyenne entre les ivoiriens au moyen d’une politique économique d’intégration inspirée par le modèle houphouëtiste n’a-t-il pas été rejeté par les figures emblématique de la conception identitaire de la Nation au sein de la classe politique ivoirienne ?  Ces faits discréditent l’appel  de Daloa qui, en ses détails et dans sa forme, pourrait sembler cautionner ce positionnement identitaire d’une partie de cette classe.

 Sous le discours politique de la réconciliation nationale et de la demande d’amnistie présidentielle affleure la thèse selon laquelle la division de la nation aurait été causée par la sanction judiciaire des acteurs de l’ethno-nationalisme et du populisme. Cette sanction pénale judiciaire des auteurs de la déstabilisation de la République et des fauteurs de la crise post-électorale constituerait de ce fait, aujourd’hui, une menace contre la cohésion de notre société. Elle serait donc une faute politique qui ramènerait  la Côte d’Ivoire aux temps sombres des années 1999 et 2002. On en appelle à l’intercession de l’Etat en vue de l’amnistie politique qui réparerait la division interne en restaurant, en notre pays, la paix « sans  laquelle tout le reste est vain ».

Autrement dit, la Côte d’Ivoire  n'aurait  pas été clivée et divisée par le discours et les prises de position ethno-nationalistes et populistes qui, prônant l’exclusion de catégories entières de la population ivoirienne et joignant le geste à la parole en réécrivant le code de la nationalité, conduisirent à la guerre civile. L’application des lois de la République aurait, au contraire, clivé la société ivoirienne et serait aujourd’hui une source potentielle de déstabilisation politique. La conception identitaire de la Nation et de l’État, conception anti-Houphouëtiste, serait donc devenue normative en Côte d’Ivoire.  

 Prononcé sous la forme d’un appel au Président de la République, ce discours significatif du Ministre Djédjé Mady prouve que la vision identitaire de la Nation est partagée par une partie non-négligeable de la classe politique ivoirienne qui prend ainsi le contre pied de l’Idée de la Côte d’Ivoire telle que la conçut le Père de la Nation Félix Houphouët-Boigny. L’histoire de la Côte d’Ivoire est ainsi réécrite à l’aune des ambitions de pouvoir et des intérêts particuliers personnels d’une partie de la postérité politique du père de la Nation. (A suivre)

 

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