Présidentielle 2020 en Côte d’Ivoire : la société civile ivoirienne n’est pas en demande de démiurges réconciliateurs.

En Côte d’Ivoire, nous devons garder le cap de la démocratie. L’objectif ultime de la présidentielle 2020 est d’assurer sa continuité. Il s’agit donc de  sauvegarder  la liberté du choix politique, en faisant en sorte qu’en cette élection, les offres politiques correspondent aux demandes et aux besoins exprimés par la société civile. L’idée directrice de cette temporalité démocratique est de parvenir, sur le long terme, à soumettre les forces politiques aux demandes des forces sociales, à  renforcer la limitation de l’Etat par les droits de l’homme et enfin, à affermir les institutions par un contrôle citoyen pour lutter par les lois contre l’injustice sociale, l’inégalité et la corruption. Elle est de promouvoir la citoyenneté et de raffermir l’intégration politique du pays. Telle est la dimension substantielle de la démocratie au-delà des procédures et de l’alternance formelle du pouvoir.

Ces objectifs capitaux contrarient des intérêts factionnels. Différentes  stratégies de diversion, de détournement de la volonté populaire, et d’intoxication de l’opinion publique ivoirienne  sont donc entreprises en vue d’empêcher la dynamique de cette maturation démocratique en Côte d’Ivoire. Il est vital de les dénoncer et de les déconstruire afin de préserver la dynamique de la démocratie libérale initiée en Côte d’Ivoire en décembre 2010. La plus grosse de ces escroqueries politiques est actuellement l’arnaque à la réconciliation nationale.  

On notera tout d’abord que la « réconciliation nationale », telle que la conçoivent certains acteurs politiques ivoiriens  qui en font leur programme  de gouvernement, n’est pas une demande nationale de la société civile. La  réconciliation  nationale est conçue par ces acteurs  comme réconciliation des diverses communautés ivoiriennes. La demande de ce type de réconciliation est formulée par certains acteurs politiques campés en représentants communautaires,  en chefs de factions et en nomenklatura de mouvements antisociaux.

La société civile ivoirienne s’est réconciliée, au fil du temps, par nécessité existentielle en dépit des conflits sporadiques liés aux problèmes d’occupation des terres.  Les nécessités du quotidien ont à nouveau rassemblé les peuples ivoiriens dans la complémentarité réciproque des altérités qui définit nécessairement l’existence des hommes. Les mouvements sociaux ivoiriens furent des mouvements de revendication de droits et de défense d’intérêts catégoriels et corporatifs, et non des mouvements de revendication de « réconciliation ». La dynamique politique de notre société globale démontre que la société civile ivoirienne n’est donc pas en demande d’un démiurge politique qui viendrait la réconcilier de l’extérieur.

La guerre civile ivoirienne ne fut pas provoquée par un affrontement spontané des communautés se disputant l’occupation du pouvoir d’Etat. Elle fut provoquée artificiellement par certains acteurs politiques ivoiriens instrumentalisant les communautés primordiales dans la lutte pour le pouvoir. Relativement à la guerre civile, la société ivoirienne, qui ne se réduit pas aux communautés, est en demande de la réparation judiciaire des torts qui lui furent causés par les factions politiques qui tentèrent de refuser le choix des urnes afin de confisquer le pouvoir.

On remarquera d’ailleurs que les discours des candidats potentiels ou déclarés à la présidentielle 2020, qui font de la réconciliation nationale leur programme politique  s’ordonnent implicitement ou explicitement autour des thématiques identitaires et populistes qui, par essence, divisent et désintègrent les corps politiques. Cette contradiction dénonce le caractère instrumental de la thématique de la réconciliation nationale. Fabriquée par les factions en compétition pour le pouvoir, elle apparaît  comme un dispositif politique  qui permet aux chefs de ces factions de rejeter le débat programmatique et sociétal concurrentiel qui définit tous les affrontements électoraux en démocratie.

Des acteurs politiques et des  factions politiques ont entrepris de  définir  comme enjeu central de la Présidentielle 2020, la réparation d’une fracture sociale artificielle qu’ils entretiennent en mobilisant les thématiques identitaires et populistes. Ils ont entrepris de l’utiliser comme instrument de conquête du pouvoir d’Etat à peu de frais. Cette solution dangereuse de facilité qui mélange les registres en semant la confusion entre la société civile et les communautés primordiales, entre les demandes sociales et les demandes factionnelles des acteurs politiques ivoiriens,  porte en creux la restauration du programme de l’anti-démocratie.

Dévoilée comme demande catégorielle des factions politiques ivoiriennes,  la thématique de la réconciliation nationale est le cheval de Troie programmatique des anciens et des nouveaux entrepreneurs politiques qui  conçoivent l’État sous le modèle de la partitocratie. La partitocratie est la dictature des partis, des factions et de leurs chefs sur la société civile. Elle définit un régime  d’accaparement de l’État par les intérêts particuliers des partis, des factions et de leurs chefs. C’est le programme des nouvelles élites lignagères en demande d’un trône en tant qu’instrument de pouvoir communautaire. C’est aussi le programme de la nomenklatura des anti-mouvements, désireux d’installer un Etat populiste pour abriter leur domination. C’est enfin le programme des nouveaux chefs de faction en quête d’un Etat générationnel à la botte d’un leader générationnel. Le programme factionnel de la réconciliation nationale, entendue comme cohésion communautaire, sert à rétablir le rapport de subordination autocratique du pouvoir social au pouvoir politique, à maintenir la société civile sous la tutelle de la société politique et de ses chefs.  C’est le programme de l’anti-démocratie.

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