Côte d’Ivoire : unifier le PDCI et le RDR, est-ce liquider le PDCI-RDA et Houphouët-Boigny ?

Vouloir unifier le PDCI et le RDR, est-ce vouloir liquider le PDCI-RDA et Félix-Houphouët-Boigny ou est-ce, au contraire, vouloir assurer institutionnellement la pérennité de son esprit et de son projet sociétal?  Peut-on identifier la volonté d’unifier le PDCI et le RDR à une volonté de liquider le PDCI-RDA  et in fine, de liquider Houphouët-Boigny, comme le suggère son biographe Frédéric Grah Mel, dans un interview à Jeune Afrique (cf : édition numérique du 29-01-2018) ? Porté par ce syllogisme effrayant, ce procès d’intention est-il politiquement fondé en raison ?  

Le PDCI-RDA est « le réel héritier » du père de la Nation, dit Mr Grah Mel qui accuse : «  Tous ceux qui, sous prétexte de parti unifié, veulent aujourd’hui liquider le PDCI-RDA s’exposent à trahir l’héritage politique d’Houphouët. Liquider le PDCI-RDA, c’est vouloir liquider Houphouët ».

Est-il, d’abord, politiquement rationnel de définir le PDCI-RDA en termes d’héritier et d’héritage ? Concevoir que ce parti politique est l'héritier de Félix Houphouët-Boigny n’est-ce pas personnaliser ce qui n’est, comme phénomène politique, qu’une institution du régime démocratique ? N’est-ce pas fétichiser le PDCI-RDA, autrement dit, le réduire à la personne physique de son fondateur ? N’est-ce pas oublier les valeurs les programmes et les projets sociétaux qu’un parti est fonctionnellement destiné à défendre et à servir dans la temporalité politique ? N’est-ce pas faire de ce parti le legs patrimonial d’une descendance, au lieu de le considérer, au contraire, comme Viatique National ? Définir le PDCI-RDA comme héritage, n’est-ce pas en faire arbitrairement un bien immobilier réservé à l’héritier d’une filiation biologique familiale, lignagère, tribale ou clanique ? Affirmer que la volonté d’unifier le PDCI et le RDR est prétexte dissimulant une volonté de liquider le PDCI-RDA, de trahir l’héritage politique de Félix Houphouët-Boigny et in fine de liquider sa mémoire ne relève-t-il pas de la vision patrimonialiste et totalitaire du parti politique propre aux dictatures ?

Les propos de Monsieur Frédéric Grah Mel sont donc politiquement et rationnellement contestables. En démocratie, un parti politique n’est ni l’incarnation de la personne de son fondateur, ni un héritage de sa descendance, ni un bien immobilier de propriété privée. Le parti politique est une institution publique, un instrument bâti en vue de servir une certaine conception du bien public. C’est le moyen du service d’une fin politique plus haute, d’un idéal, d’un universel, qui transcende la personne de son fondateur.

 Le PDCI-RDA fut construit en Côte d’Ivoire pour réaliser l’alliance des identités culturelles et de la rationalité moderne dans le combat anticolonialiste pour l’Indépendance.(Cf « Ce qu’est l’Houphouëtisme, mémoire commune du PDCI et du RDR ».cedea.net. Décembre 2017). Pour Houphouët-Boigny, cette alliance s’avère nécessaire. Elle permet à la Côte d’Ivoire de se libérer de la dépendance et de se propulser sur les fonts baptismaux du développement endogène au fil du temps.

 L’houphouëtisme est l’expression ivoirienne des valeurs et du projet économique et sociétal de la démocratie républicaine. Le PDCI-RDA incarnait, en Côte d’Ivoire, ces valeurs et ce projet. Sa scission historique entre une aile républicaine et une aile démocratique met les deux nouvelles entités partisanes  au défi de porter effectivement ces valeurs et ce projet par la praxis et par la confrontation idéologique, d’en assurer la pérennité dans le combat politique. Telle est, me semble-t-il, la perspective sous laquelle nous devons lire la volonté d’unification. Elle est inspirée par la mémoire de l’Houphouëtisme.

La scission historique interne du PDCI-RDA fut causée par des logiques d’affirmation de ses composantes idéologiques, de sa dimension nationaliste conservatrice et de sa dimension moderniste et progressiste. Les réalités de l’affrontement politique ivoirien dans le cadre de la démocratie multi-partisane nécessitent maintenant une coalition durable de valeurs entre ses deux composantes qui s’étaient séparées. A l’image de la coalition allemande de la CSU/CDU, l’unification PDCI/RDR est à comprendre comme coalition programmatique durable de valeurs fondée sur le respect réciproque des partenaires de l’alliance. Cette coalition programmatique de valeurs nécessairement bâtie sur des compromis est destinée à assurer, contre des périls politiques communs, la pérennité du projet politique et sociétal de l’Houphouëtisme : l’alliance de l’identité et de la rationalité moderne.

Compris dans sa signification rationnelle et politique, la volonté d’unifier le PDCI et du RDR n’est donc pas le prétexte d’une volonté de liquider le PDCI-RDA, de trahir ses valeurs et de liquider Houphouët-Boigny. Elle apparait, au contraire, comme étant une volonté de consolider le PDCI-RDA en tant que forme politique normative, de maintenir temporellement vivant l’esprit de Félix Houphouët. Sous le PDCI/RDR né des transformations historiques et politiques de la Côte d’Ivoire vivrait le PDCI-RDA comme référence idéologique et politique normative.

 Loin de dissoudre le PDCI-RDA, l’unification assure sa pérennité historique à travers l’alliance idéologiquement et programmatiquement fondée de ses deux branches contre les adversaires de l’Houphouëtisme dans le combat politique. L’unification ne liquide pas Félix Houphouët-Boigny. Elle le fait revivre en garantissant institutionnellement la pérennité de sa mémoire et de son projet politique contre l’adversité : l’émancipation pérenne de la Côte d’Ivoire à travers l’alliance des identités culturelles et des diverses formes de la rationalité moderne. L’interprétation de Frédéric Grah Mel est abusive.

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