Le tribalisme d’Etat en Afrique Noire, version communautaire du système des dépouilles républicaines.

Le dévoiement de la démocratie républicaine en démocratie communautaire conduit nécessairement au népotisme et au tribalisme d’Etat. Ces deux fléaux sont les  formes sous lesquelles se traduisent les dépouilles,  autrement dit le partage politique des ministères régaliens et des postes de la haute administration,  dans les démocraties à représentativité communautaire. « Le système des dépouilles (spoils system) est un principe selon lequel un nouveau gouvernement devant pouvoir compter sur la loyauté partisane des fonctionnaires substitue  ceux qui sont en place par des fidèles. » 

En démocratie républicaine le parti qui conquiert la majorité électorale durant une présidentielle gouverne pour réaliser son programme politique et économique. Il lui faut, à cette fin, confier les ministères régaliens et les postes stratégiques de la haute administration aux membres loyaux et technocratiquement compétents du parti. C’est la tradition des dépouilles républicaines.

 Quand une majorité libérale prend le gouvernement, elle nomme, conformément à ce principe, des libéraux convaincus dans les ministères régaliens et dans certains postes stratégiques de l’administration afin de réaliser son programme libérale. Quand un parti socialiste obtient la majorité du suffrage, il nomme de même des socialistes convaincus dans les ministères régaliens et dans certains postes stratégiques de l’administration afin de réaliser son programme socialiste. Quand un parti conservateur obtient la majorité du suffrage, il nomme aussi des conservateurs convaincus dans les ministères régaliens et dans certains postes stratégiques de l’administration pour réaliser son programme conservateur.

Qu’en résulte-t-il quand les notions de « socialiste », de libéral, de « conservateur » sont des mots vides  et que les notions, d’égalité, liberté, de fraternité de solidarité, recouvrent une société hiérarchisée et divisée en castes ? Qu’advient-il quand les partis politiques sont structurés sur une base tribale, ethnique, communautaire et régionaliste et que la représentativité est de type communautaire ? Que se passe-t-il quand les affrontements politiques sont personnalisés, mettent aux prises des représentants de lignages et quand électorats sont mobilisés selon une représentation communautaire de la société, selon des références coutumières, sur une base d’allégeances de type personnel familial et personnel ?

Les urnes délivrent alors nécessairement une majorité de nature ethnique et tribale. Les dépouilles qui procèdent de cette élection démocratique prennent alors nécessairement une forme tribale, communautaire et régionaliste. Dans les ministères régaliens et dans les postes stratégiques de la haute administration, de nouveaux fonctionnaires doivent être nécessairement nommés selon un principe de loyautés coutumières.

De même que la forme républicaine des dépouilles est en cohérence avec la forme citoyenne de la Nation et avec la définition sociale et idéologique des partis politiques. La forme tribale, ethnique, régionaliste et communautaire des dépouilles est en cohérence avec la forme ethnique de la nation et avec la définition communautaire des partis politiques.

La dénonciation du tribalisme d’Etat sera donc stérile tant qu’une définition sociale de représentativité de nos partis politiques ne se substituera pas à la forme communautaire de cette représentativité en nos Etats d’Afrique Noire. La dénonciation de la tribalisation, de l’ethnicisation, de l’Etat demeurera  stérile tant qu’une nation citoyenne ne sera pas construite sur les coutumes. La dénonciation de l’ethnicisation des affrontements politiques sera stérile tant que nos partis  politiques ne seront pas reconfigurés sur une base sociale et que la lutte inter-partisane ne sera pas celle des intérêts divergents des classes sociales. La dénonciation de la personnalisation des affrontements politiques sera vaine tant que lutte politique ne se définira pas comme une confrontation des idéologies universelles du libéralisme, du socialisme et de leurs valeurs et projets sociétaux respectifs.

Pour y parvenir nous sommes obligés de reformer nos mœurs politiques et de révolutionner notre manière de penser la société et le pouvoir. A notre tendance à nous définir par notre par notre identité ethnique et nos coutumes, nous  devons substituer  progressivement  une tendance à nous définir par ce que nous faisons en terme de profession et par notre appartenance nationale en tant que citoyen. Il importe donc de redonner du travail aux gens à travers une politique active de lutte contre le chômage. On est obligé de se définir  par son identité ethnique quand on ne peut pas se définir par sa profession. Notre conception du pouvoir politique doit aussi être en ce sens  transformée de fond en comble. Il nous faut A notre manière habituelle de penser l’Etat comme instrument de domination de la société et de prédation personnelle, nous devons substituer la représentation du pouvoir d’Etat comme moyen du service de la société et de la protection des droits fondamentaux des individus et des collectivités. Telle est la médiation incontournable et nécessaire pour  notre émancipation individuelle et collective puisse devenir possible en Afrique Noire.

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