Côte d’Ivoire : comment reconstruire la représentativité sociale de nos partis politiques pour en finir avec le tribalisme ?

Comme je l’ai souligné dans une contribution précédente, le PDCI-RDA, qui regroupa l’ensemble de partis politiques ivoirien sous le régime de parti unique, fut un parti de planteurs, de cheminots, de fonctionnaires, d’instituteurs, de travailleurs du secteur privé, de commerçants, d’entrepreneurs, d’ouvriers, de dockers et j’en passe. Les syndicats qui s’affilèrent au PDCI-RDA représentèrent les intérêts de corporations professionnelles. La représentativité du PDCI-RDA était donc sociale. Elle n’était pas communautaire et ethnique.

 Lors de l’instauration du multipartisme dans les années 1980 les nouveaux partis politiques ivoiriens naissant de la matrice commune du PDCI-RDA auraient dû se restructurer sur cette base sociale du parti-unique. A partir de leur conscience de classe encore vivante, les diverses catégories sociales ivoiriennes auraient pu se rassembler dans de nouveaux  partis politiques incarnant les différentes obédiences idéologiques de la droite libérale et de la gauche socialiste représentant et défendant des intérêts sociaux catégoriels divergents

Grosso-modo, à partir de la base sociale du parti-unique défunt, les paysans, les planteurs et la bourgeoise terrienne auraient pu se rassembler dans un parti conservateur. Les travailleurs du secteur privé, les commerçants, les entrepreneurs, les financiers, auraient pu se rassembler dans un parti libéral. Les ouvriers, les cheminots, les dockers, la classe moyenne montante, les fonctionnaires et les enseignants auraient pu se rassembler dans un parti socialiste d’obédience social-démocrate et dans un parti communiste d’obédience révolutionnaire. Les élites ivoiriennes auraient pu encourager cette refondation sociale des nouveaux partis politiques de l’ère du multipartisme.

La base sociale des nouveaux partis politiques étant ainsi définie, la lutte politique ivoirienne se serait réinscrite dans la continuité de la tradition des luttes politiques de l’immédiate après-Indépendance. L’affrontement politique ivoirien aurait été, comme il se doit en démocratie représentative, un affrontement d’intérêts catégoriels divergents. Les mouvements sociaux auraient été des mouvements de revendication d’intérêts corporatistes et de défense des droits dans le cadre du consensus républicain. L’affrontement des intérêts  auraient été résolus par le dialogue qui était une tradition politique ivoirienne. Les conflits sociaux auraient été tranchés par la négociation sociale et le compromis dans un système politique indépendant qui permettrait d’éviter le face à face mortel  entre la société civile et l’Etat. L’affrontement politique ivoirien se serait structuré sur la base de la défense des droits des catégories socio-professionnelles ivoiriennes. Il se serait construit sur la base  de la correspondance entre les offres politique et les demandes sociales. La lutte pour le pouvoir se serait toujours définie comme affrontement de programmes politiques et économiques divergents, de projets sociétaux concurrents. Des obédiences idéologiques se seraient affrontées pour recueillir le vote majoritaire afin de prendre le gouvernement pour mettre en œuvre une politique d'intégration nationale.

Pourquoi le pluralisme démocratique ivoirien naissant dans les années 1980  n’a-t-il  pas pris cette direction ?

Mon hypothèse est que cette direction a été obstruée par le faux débat sur la démocratie africaine qui sévissait en ce temps là et par la dérive ethniciste qui fut la solution de facilité à laquelle recoururent certains acteurs politiques engagés dans la 1ere guerre succession que connut la Côte d’Ivoire  au début des années 1990.

 Les nouveaux acteurs politiques ivoiriens de l’ère du multipartisme restructurèrent leur ancrage territorial sur une base communautaire au lieu de le structurer sur une base socio-professionnelle et idéologique. La transformation de l’affrontement politique ivoirien en affrontement communautaire, date de ce moment ou le pouvoir d’Etat fut fétichisé à l’intérieur de nos Etats indépendants et où les acteurs politiques nationaux, animés par la logique de sa conquête, rejetèrent les idéologies universalistes et mobilisèrent les coutumes et les fidélités traditionnelles comme armes de combat politique.

La problématique centrale de nos jours est alors de reconstruire de manière volontariste nos partis politiques sur leur mémoire sociale d’antan. Comment procéder pour y parvenir ?

Explorons la piste suivante : Admettons que le RDR est un parti libéral progressiste. Il est ouvert à la nouvelle rationalité économique. Il défend les intérêts et les valeurs des travailleurs du secteur privé, des capitaines d’industrie, des financiers, des entrepreneurs, des commerçants. J’appartiens à une de ces catégories socio-professionnelles et je partage ces valeurs. Je m’affilie à ce parti en qualité de militant ou de sympathisant. Admettons que le PDCI est un parti libéral conservateur. Il est universaliste mais soucieux de la sauvegarde des traditions. Il défend les intérêts et les valeurs de la bourgeoisie agraire, des propriétaires terriens, des paysans, des artisans. J’appartiens à une de ces catégories socio-professionnelles et je partage ces valeurs. Je m’affilie à ce parti en qualité de militant ou de sympathisant. Admettons que le FPI tendance Affi est un parti social-démocrate qui défend les intérêts et les valeurs des travailleurs du secteur public, des ouvriers, des fonctionnaires, de la classe moyenne, des précaires. J’appartiens à une de ces catégories socio-professionnelles et je partage ces valeurs. Je m’affilie à ce parti en qualité de militant ou de sympathisant.

En partant du centre droit et du centre gauche aux extrêmes pour couvrir la diversité des catégories sociales constitutives de la société civile et de la nation Ivoirienne, on pourrait imaginer et mettre en œuvre cette refondation sociale de nos partis politiques. Ainsi pourrait être formellement dépassé le fléau communautaire et personnaliste dans notre vie politique. Il n’y aurait plus alors de parti d’Akan, de parti de Dioula, de parti de Bété, de parti de Wè, de parti de Guéré, de parti de Krou et j’en passe. Cette refondation sociale de nos partis politiques est une urgence. La solution ici indiquée, devrait être promue et essayée.

 

 

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