CEDEA

Colloque scientifique de la FADIV École Polytechnique Palaiseau (France). Intervention du Docteur Alexis Dieth :Je partirai de l’expression utilisée par le Président de la République désignant la Côte d’Ivoire émergente comme « une nation réconciliée avec elle-même et avec les autres nations » pour montrer en quoi peut consister l’apport de la diaspora à l’émergence de la Côte d’Ivoire .

Concevoir la Côte d’ivoire comme « nation réconciliée avec elle-même et avec les autres nations »,  met l’accent sur la rencontre et la reconnaissance de l’autre. Cette représentation invite à dépasser les appartenances communautaires et les solidarités primordiales des sociétés de la parenté dans une société politique volontaire constituée par l’unité de la diversité. Elle appelle à transcender les appartenances premières dans une appartenance nationale tissée par la solidarité citoyenne.

Relativement à cette idée de Côte d’ivoire, la diaspora ivoirienne a le rôle d’un schème pratique. Il faut donc en faire ressortir la spécificité multiforme dans la réalisation du projet d’émergence de la Côte d’Ivoire.

La diaspora ivoirienne tel qu’il m’a été donné de l’observer durant le Colloque Scientifique de la Diaspora Ivoirienne (FADIV) du 17 au 18 janvier 2014, à Paris, à l’École Polytechnique de Massy Palaiseau, incarne la nouvelle Côte d’Ivoire ouverte sur le monde, au vent du grand large, et prête à accueillir la différence qui affirme l’identité. Elle donne l’exemple d’un syncrétisme des génies scientifiques économiques, commerciaux, culturels et artistiques empruntés à la diversité des rationalités du monde. La diaspora ivoirienne est alors destinée à incarner productivement cette synthèse dans un entreprenariat multiforme qui laboure le champ de la nouvelle Côte d’Ivoire des horizons 2020.

Communauté diversifiée et hétérogène, constituée d’Ivoiriens venus de toutes les régions du pays, et unie autour de la science et de la recherche scientifique, la diaspora ivoirienne incarne, d’un point de vue politique, la nation ivoirienne. Elle symbolise la société démocratique ivoirienne constituée par l’union volontaire de la pluralité autour de l’idéal républicain d’émancipation de la collectivité nationale. Ceux que j’ai rencontrés se nomment Koukougnon, Yaya, Koré, Diarassouba, N’guessan, Moussa, Ezan, Adama, Tahiri, Boffoué, Fossou, Diaby, Demeango, Affian, Dro, Ado, Ouattarra, Kouassi et bien d’autres encore. Ils ne se définissent pas par ce qu’ils sont mais plutôt par ce qu’ils font. Ils ne se définissent pas comme Bété, Sénoufo, Baoulé, Agni, Atié, Malinké, Wè, Yacouba, Guéré. Ils se définissent comme ingénieurs, géologues, physiciens, chimistes, informaticiens, économistes, agronomes, mathématiciens, philosophes, artistes et sociologues ivoiriens. Les identités ethniques apparaissent, dans cette diaspora ivoirienne, comme exprimant les diverses mémoires à partir desquelles se construit un sentiment de commune appartenance qui se décline dans la solidarité et la citoyenneté active des Ivoiriens de l’étranger. Le service de la science, des arts et de la culture est destiné à promouvoir l’émergence de la Côte d’ivoire en vue du bien-être de tous ses concitoyens.

La diaspora ivoirienne porte en cela le message politique de l’ouverture à la différence, de la communication interculturelle, de l’union des volontés diverses et particulières autour d’un idéal sociétal et éthique. Elle incarne en effet le refus de la fermeture et de la clôture identitaire. Elle affirme son identité dans l’épreuve de la rencontre de la différence, dans la découverte de l’étranger, dans la rencontre de l’altérité! Elle affirme le principe de l’hétérogénéité contre l’homogénéité ! C’est une définition de l’universel, comme ouverture à l’altérité, comme équivalence et fraternisation des différences et des particularismes, qui est affirmée par la diaspora. C’est en cela que l’homme de la diaspora doit être défini comme un médiateur.

D’un point de vue économique, cette qualité définit spécifiquement son rôle dans l’émergence, comme étant celui de l’entrepreneur métissé qui synthétise les divers codes et génies culturels pour inspirer et soutenir la créativité dans l’entreprise économique, scientifique, artistique et culturelle. La symbiose des cultures comme spontanéité créatrice, et des rationalités comme esprit d’inventivité doit fonder la modernisation sur la mobilisation des ressources endogènes afin de soutenir des solutions et productions techniques originales destinées satisfaire la libre expression des besoins des peuples dont se nourrit l’économie de marché

D’un point de vue culturel, s’ouvre alors la problématique de la double acculturation libre et volontaire d’un monde économiquement, socialement et politiquement interdépendant. La diaspora ivoirienne doit être l’architecte d’une société multiethnique symbiotique dont l’identité s’affirme dans le syncrétisme des cultures. Elle doit inaugurer dans la Côte d’ivoire démocratique, ouverte sur les mondes et le vent du grand large, un échange interculturel qui développe la solidarité et la réciprocité entre les peuples des diverses nations.

Elle est ainsi destinée à donner du contenu au projet de réappropriation culturelle de la modernité qui réconcilie le passé avec le présent en vue de la maîtrise de l’avenir. En réalisant, en son être, une forme d’exemplarité,  qui est celle de la symbiose de la mémoire et de la rationalité moderne, elle peut sauvegarder la Côte d’Ivoire du divorce entre les identités culturelles infra-nationales et l’économie transnationale ; divorce dont procède la fragmentation des sociétés en des espaces culturels hostiles les uns envers les autres, obsédés par l’homogénéité, qui conduit à la guerre, à la régression économique et à la dictature. D’un point de vue culturel et politique, la diaspora est en cela le joker de la démocratie ivoirienne contre l’ethno-nationalisme et le communautarisme identitaire.

Dr Alexis Dieth

Professeur de philosophie.

Vienne. Autriche <>