L’émergence en Côte d’Ivoire : projet politique d’une démocratie.

Colloque scientifique de la FADIV à l’école Polytechnique de Palaiseau (France) du 18 janvier 2014.
Intervention du Docteur Alexis Dieth:

Dans la réflexion qui suit, je me propose d’interpréter le projet politique formulé par le Président de la République, de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent aux horizons 2020. Mon propos est aussi de montrer comment les principes et les outils institutionnels de la démocratie électorale représentative peuvent permettre de réaliser ce projet.

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A nous en tenir aux termes utilisés par le Président de la République, Son Excellence M. Alassane OUATTARA, déclarant son « ambition de faire de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020 un pays émergent, une nation réconciliée avec elle-même et avec les autres nations », l’émergence économique est projetée à partir du souci de la société nationale. Envisager la Côte d’Ivoire émergente comme « nation réconciliée avec elle-même et avec les autres nations », fait ressortir le sens spécifique du projet ivoirien. Après la rupture du contrat social et la crise de l’Etat provoquées principalement entre d’autres causes par le nationalisme identitaire et par une redéfinition communautaire et confessionnelle du corps politique, n’est-ce pas assigner à la démocratie ivoirienne la tâche capitale de reconstruire la citoyenneté et de rebâtir une nation solidaire au moyen d’une politique d’intégration sociale et économique de la diversité des peuples de l’Etat multiethnique ivoirien ?

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En ce sens, l’émergence de la Côte d’Ivoire ne doit pas être comprise exclusivement dans le sens quantitatif de la performance économique d’une société indifférente à l’intégration nationale de la diversité. L’émergence ne doit pas être réduite à la croissance économique. Elle doit être plutôt comprise dans le sens d’une transformation qualitative de la société globale ivoirienne.

Former le projet de faire émerger la Côte d’Ivoire aux horizons 2020, signifie concrètement la volonté de concilier économie de marché et développement endogène, au moyen de la démocratie électorale-représentative. La Côte d’ivoire émergente des horizons 2020 est une société nationale à la fois diversifiée et intégrée dont la productivité économique, auto-entretenue, repose sur la mobilisation des ressources endogènes, la mise en œuvre active du génie culturel des peuples et la participation active, synergétique, de tous les acteurs de la société civile, de la société politique et de l’Etat.

Il faut donc tout d’abord faire ressortir le lien entre démocratie électorale-représentative et développement endogène. Et il faut ensuite montrer comment les principes de la démocratie électorale-représentative déterminent le processus du développement endogène.

Qu’est-ce qu’un développement endogène et quelles en sont les conditions ? Le développement endogène est selon Alain Touraine « un développement auto-entretenu ». Ce développement, précise-t-il repose sur « l’abondance et le bon choix des investissements, la diffusion dans toute la société des produits de la croissance, la régulation politique et administrative des changements économiques et sociaux au niveau de l’ensemble national ou régional considéré ».

En termes concrets, «  la transformation de l’économie de marché en développement suppose un Etat capable d’analyse et de décision, des entrepreneurs et des forces de redistribution » précise Touraine. Il montre que «  ces trois agents du développement que sont l’Etat, les entrepreneurs et les forces de redistribution, ont des rapports étroits avec les trois composantes de la démocratie » : le principe de citoyenneté, celui de la représentation des intérêts sociaux, et celui de la limitation du pouvoir par les droits fondamentaux.

En quel sens y-a-t-il donc corrélation entre démocratie et développement endogène ?

En premier lieu, la démocratie est en rapport avec le développement au sens où la modernisation économique doit être entreprise en vue de produire la citoyenneté c’est-à-dire  la conscience d’appartenance à un ensemble national régi par des lois. La citoyenneté suppose en effet «  l’existence d’un Etat dont l’objet est le renforcement de la société nationale à la fois par la modernisation économique et par l’intégration sociale ».

En deuxième lieu, la démocratie est corrélative au développement au sens où le principe démocratique de représentation des intérêts est un facteur de développement parce qu’il équivaut au processus de redistribution des résultats de la croissance et donc d’intégration sociale.

En troisième lieu, la démocratie est corrélative au développement, en ce sens que l’investissement conduit au développement et à l’industrialisation, parce qu’il brise les mécanismes de reproduction sociale au profit des libertés et substitue un principe de mouvement au principe ancien d’ordre.

Les principes de la démocratie s’appliquent donc au processus de modernisation économique pour le structurer dans le sens de l’intégration socio-économique de la diversité et de l’émancipation généralisée de la société. De quelle manière s’effectue ce processus de structuration ?

Le principe de la représentation des intérêts sociaux « a pour effet d’assurer la redistribution du produit national », de renforcer « l’unité nationale en donnant au plus grand nombre un certain accès aux décisions et aux crédits publics » note Alain Touraine. La limitation du Pouvoir par les droits personnels et collectifs fondamentaux permet à l’Etat d’agir comme agent de développement. Conditionnée par la redistribution des produits de la croissance, l’activité gestionnaire de l’Etat dans la politique d’investissement est destinée à donner un contenu tangible au fait de la citoyenneté.

La démocratie est donc la condition du développement économique et non sa conséquence. Or cette aptitude de la démocratie à être la condition sine qua non du développement économique endogène est loin de dépendre simplement d’une gestion rationnelle de la division du travail et des intérêts. Les principes de la démocratie ne structurent pas les phases du processus de modernisation économique au sens de catégories de l’entendement organisant les phénomènes dans un jugement déterminant.

La mise en œuvre de la rationalité technologique et économique, stricto-sensu, est incapable de produire le développement endogène, autrement dit l’émergence, sans la médiation d’un système politique autonome permettant de relier la société civile à l’Etat, de combiner la diversité des intérêts avec l’unité de la loi et de gérer les tensions entre les deux conditions à la fois complémentaires du développement que sont l’investissement et la redistribution. La démocratie produit le développement endogène grâce à l’autonomie du système politique qui assure à travers ses institutions emblématiques, tels l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, la médiation entre la pluralité des acteurs de la société civile et l’action gestionnaire de l’Etat. Cette médiation introduit au cœur de la modernisation, le débat, la discussion, grâce auxquels s’opèrent les compromis entre la diversité toujours conflictuelle des intérêts qui impliquent pleinement les acteurs du développement dans l’aventure commune de la construction nationale.

La démocratie électorale représentative ivoirienne permettra donc de réaliser le développement endogène, autrement dit l’émergence économique aux horizons 2020, si le système politique ivoirien en tant qu’entité autonome, exerce pleinement son rôle de médiation qui assure l’intégration socio-économique de la diversité, et produit la nation. La condition est que le système politique médiatise la tension entre la concentration des investissements et la redistribution des fruits de la croissance, de manière à fonder la décision politique qui permet de choisir le poids relatif de ces deux composantes du développement économique, qui sont à la fois complémentaires et opposées.

La démocratie rendra possible l’émergence de la Côte d’Ivoire, aux horizons 2020, grâce à la gestion institutionnelle des conflits sociaux qui fonde l’application de ces principes au processus de la modernisation économique. C’est à travers la reconnaissance de la légitimité de ces conflits enracinés dans la divergence des intérêts – divergence qui appelle une négociation institutionnelle de leur réconciliation – que se construit la nation démocratique et se produit collectivement la richesse et l’émancipation généralisée des citoyens. Se représenter la Côte d’Ivoire démocratique comme un pays émergent aux horizons 2020, c’est la représenter dès aujourd’hui comme une démocratie où  un pouvoir politique au service de l’intégration et du renforcement de la nation, organise l’interaction entre la croissance économique et une participation sociale élargie.

Dr Alexis Dieth

Professeur de philosophie.

Vienne. Autriche

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