Côte d’Ivoire. Pratiquer la realpolitik de la prudence : un viatique existentiel pour le PDCI et le RDR.

Pratiquer la realpolitik de la prudence consiste, au sens aristotélicien du terme, en ce que l’habileté soit reprise et tirée du bon côté par la vertu morale. Ce conseil pragmatique de la raison  politique devrait être, pour le PDCI et le RDR, un viatique existentiel indispensable. La configuration de la situation politique de la Côte d’Ivoire les oblige à se réapproprier cette realpolitik démocratique, union de la politique et de la morale. Ces deux partis devraient, dans la lutte politique qui les oppose, concilier « la prudence du serpent » à « la simplicité de la colombe » comme le conseille le philosophe Emmanuel Kant. Le philosophe souligne, dans son opuscule Le projet de paix perpétuelle, que « la droiture vaut mieux que toute politique » et que  cette proposition théorique  est « la condition inéluctable de la politique ». Pour opérer des choix politiques gagnants dans la recomposition du champ politique ivoirien, le PDCI et le RDR devraient unir la préoccupation d’efficacité à celle de rigueur morale, allier le souci d’habileté au souci de droiture. Cette combinaison qui définit la prudence est la vertu cardinale de l’homme politique, dit Aristote. Elle devrait, s’ils s’en montrent capables, assurer leur salut. Ils devraient, pour cela, s’interdire de chevaucher, par calcul électoraliste, les monstres féroces du nationalisme identitaire, du confessionnalisme et de l’hubris du pouvoir au visage terrifiant de Méduse Gorgone.

Le PDCI ne doit pas tenter de chevaucher le monstre féroce de l’hubris du pouvoir au risque d’en être terrassé. Il doit tout autant se défier du monstre  communautaire et national-populiste au risque d’être déraciné et dévoré,  comme en témoigne un passé si proche. Le RDR ne doit pas tenter de chevaucher le monstre régionaliste et confessionnaliste, au risque d’être étouffé par ses terrifiants tentacules internationaux.

Ils devraient éviter, tous les deux, de confondre la realpolitik nationale des démocraties avec la realpolitik nationale des dictatures : la fourberie, l’impudeur, le cynisme et le machiavélisme abusivement réinterprété. Ce legs empoisonné du passé, cette idéologie de la violence politique qui servit à justifier l’arbitraire du pouvoir dans les dictatures et les autocraties postcoloniales, doit être rejeté par la classe politique ivoirienne.

Déconnecté de l’assistance de la belle âme, autrement dit de la conscience morale, le machiavélisme est la vertu politique des assassins. « En affirmant que dans le domaine publico-politique les hommes devraient apprendre à pouvoir n’être pas bons, Machiavel n’a jamais voulu dire, bien sûr qu’ils devraient apprendre à être mauvais » souligne Hannah Arendt. Il est nécessaire de rappeler que Machiavel s’insurgeait contre la corruption de la vie politique de l’Italie de son temps et que la violence qu’il préconisait était destinée à fonder l’Etat pour rendre la politique possible.

Le mauvais politicien interprète abusivement machiavel pour justifier la violence politique et les ruses qui lui permettent de prendre et de confisquer le pouvoir contre les lois, alors même que l’État est déjà établi. Antithèse radicale de Périclès, il réduit la vertu politique à l’indifférence envers le Bien commun et envers le Bien tout court. Il assimile l’habileté politique à la roublardise et à l’aptitude de combiner les moyens les plus efficaces pour atteindre des fins personnelles même s’il devrait en résulter le malheur collectif et si le monde entier devrait en périr. Protagoras des temps moderne, puisant son inspiration chez les sophistes, démagogue indifférent à la Vérité et au Bien, le mauvais conseiller, antithèse radicale d’Aristote conseiller d’Alexandre le Grand, réduit le conseil politique au fait d’annihiler le jugement de l’acteur politique, de lui procurer des recettes d’imprudence et de fourberie, de chanter ses louanges contre rétribution. Cette realpolitik d’imprudence sied à ces fléaux des cités  que Platon recommandait de bannir : l’homme politique et le conseiller dépourvus de pudeur.  Elle convient aux tyrannies et aux dictatures. Dans les démocraties de nos jours, elle commande des stratégies électorales perdantes.

 La realpolitik de la prudence, qui commande les stratégies électorales gagnantes dans les démocraties modernes, ne s’identifie plus à l’opportunisme, au cynisme, et à l’immoralité des alliances contre-nature. Les fins de la politique, autrement dit la liberté, l’égalité et le bien-être des peuples, déterminent aujourd’hui le choix des moyens efficaces de l’action politique. Telle est la realpolitik démocratique moderne. La viabilité politique du PDCI et du RDR dépendra de leur capacité respective à s’y inscrire. (A suivre)

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