Lutte pour le pouvoir en Côte d’Ivoire, lutte pour les contre-pouvoirs au Kenya.

Lutte pour les contre-pouvoirs au Kenya. Lutte pour le pouvoir en Côte d'Ivoire. Ces deux évènements symbolisent et portent à incandescence les deux logiques antinomiques des affrontements politiques qui se déroulent dans les Etats d’Afrique Noire. Leur concomitance en cette année 2017 fait donc sens.

L’élection présidentielle kényane 2017 est marquée par le conflit du pouvoir avec des juges locaux soucieux de protéger l’indépendance de la magistrature et la transparence des urnes. La lutte politique ivoirienne est, au contraire,  marquée par une guerre de succession précocement engagée entre les acteurs politiques ivoiriens pour l’élection présidentielle de 2020.

Si la démocratie se définit par la limitation du pouvoir par les droits de l’homme,  par la représentativité sociale et par la citoyenneté, on peut juger que la démocratie kenyane est sur la voie de son perfectionnement, au regard du renforcement constitutionnel de l’indépendance des juges en 2010 et des actions concrètes posées dans ce sens sur le terrain par les magistrats kenyans comme en témoignent articles de presses et comptes-rendus de reportages. Au contraire, en Côte d’Ivoire, cette même année 2010, la cour constitutionnelle ivoirienne s’inféodait au pouvoir pour conforter le nationalisme identitaire, violer la liberté du choix politique et légitimer le refus de l’alternance du pouvoir.

Après avoir fait de la République, de la citoyenneté et de l’alternance du pouvoir, les mots d’ordre de son combat politique, l’opposition ivoirienne parvenue au pouvoir en 2010 s’est concentrée sur le partage des dépouilles du pouvoir et sur les stratégies efficaces permettant de s’y installer. Le projet politique et le programme économique d’intégration citoyenne de la population ivoirienne a été repoussé dans l’ombre par l’âpreté de la guerre de succession entre les factions du parti au pouvoir. Le Républicanisme et la citoyenneté proclamés ont été battus en brèche par des actes de gouvernance qui en contestent l’esprit.

Désireux de confisquer le pouvoir, l’ex-majorité présidentielle ivoirienne a, quant à elle, refusé de reconnaître sa défaite électorale en 2010. Elle a ensuite refusé de s’engager dans une opposition constructive, y voyant une manière de légitimer son adversaire politique qu’il a toujours considéré comme un ennemi. Estimant avoir été injustement désapproprié du pouvoir par des forces étrangères, elle s’est ingéniée à bloquer et à contester tous les épisodes électoraux dans le pays, à fomenter des actes de déstabilisation militaire pour tenter de reprendre le pouvoir par tous les moyens comme l’en accuse le gouvernement.

 L’alpha et l’Oméga de la lutte politique ivoirienne semble alors se réduire à la conquête et à la confiscation du pouvoir d’Etat, et non pas à la lutte pour les contre-pouvoirs et la limitation de l’arbitraire de l’Etat.

La décision courageuse du juge ivoirien Epiphane Zoro Bi-Ballo, manifestant son indépendance face à l’exécutif en signant le certificat de nationalité ivoirienne de l’actuelle Président de la République Alassane Ouattara le 28 Septembre 1999, n’a pas fait florès. La magistrature ivoirienne et les organisations des droits de l’homme n’ont pas réussi à conquérir leur Indépendance et continuent à graviter dans l’orbite des pouvoirs. L’échec de ces organisations à documenter sérieusement les massacres commis durant la crise post-électorale ivoirienne de 2010, pour que la CPI puisse rendre justice aux victimes, est un témoignage emblématique de la crise des contre-pouvoirs en Côte d’Ivoire.

L’épicentre de la lutte démocratique africaine se trouve donc au Kenya où la lutte politique est caractérisée par l’engagement républicains des magistrats dans la lutte pour les contre-pouvoirs et non pas en Côte d'Ivoire, où elle est caractérisée par la lutte pour le pouvoir et par la crise des contre-pouvoirs.

 La lutte politique  pour la défense des droits de l’homme permet de supprimer l’arbitraire du pouvoir et de construire sa représentativité sociale. Le combat institutionnel  pour la transparence des élections permet de sauvegarder la liberté du choix politique et  de subordonner le pouvoir politique au pouvoir social. Elle permet de donner du contenu à l’alternance du pouvoir en faisant de l’élection démocratique un moment de reddition des comptes du gouvernement devant le peuple. La lutte pour la démocratie est donc une lutte visant à instituer et à renforcer les contre-pouvoirs. C’est par cette voie que s’opèrent concrètement la démocratisation des régimes et le renversement effectif des dictatures et des autocraties. Elles ne s’opèrent pas par la lutte pour le pouvoir.

Faisons en sorte que la Côte d'Ivoire devienne, elle aussi, un épicentre de la lutte démocratique africaine en faisant de la lutte pour les contre-pouvoirs la substance de la lutte politique ivoirienne. La magistrature ivoirienne doit travailler à conquérir son indépendance effective. Les Autorités administratives Indépendantes, telles la Commission électorale,  doivent parvenir à se définir dans l’impartialité. Les organisations ivoiriennes de défense des droits de l’homme se doivent de rompre les relations incestueuses qu’elles entretiennent avec les partis politiques. C’est à cette condition que la démocratie ivoirienne progressera et se perfectionnera.

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