La réconciliation nationale ivoirienne, œuvre d’une classe politique socialement représentative.

La réconciliation nationale ivoirienne sera l’œuvre d’une classe politique socialement représentative. La représentativité sociale est, en démocratie, le lien entre le peuple et ses élus. Pour que la réconciliation des acteurs politiques, autrement dit des élus, conduise  à celle des acteurs sociaux  au terme d’une crise politique aiguë, il faut d’abord que les premiers soient socialement représentatifs. Leur représentativité ne doit être de type factionnelle, communautaire ou régionaliste. Il faut ensuite que ces deux instances du corps politique soient unies par le consensus sur les valeurs du régime. Il faut enfin que la crise politique ne résulte pas d’une remise en question du régime. Il faut qu’elle ait été causée par une défaillance accidentelle des institutions médiatrices du consensus démocratique.

 Or, la division politique ivoirienne ressort d’un cas spécifique. Le divorce politique et social ivoirien résulte, à la fois, d’une polarisation ethniciste- régionaliste  du corps politique en toutes ses composantes et d’une crise de représentativité sociale de la classe politique considérée dans sa globalité. Par un phénomène de vase communiquant, le renforcement de la représentativité de type communautaire et régionaliste, qui sert de palliatif à cette crise de représentativité sociale, accentue la division ivoirienne en donnant un caractère identitaire à la lutte politique. Il s’agit là de fractures internes gravissimes qui sont accentuées  par le choix apparemment délibéré d’un modèle anti-démocratique de société par la classe politique et par l’intelligentsia ivoirienne.

Le fait majeur de la vie politique ivoirienne,  souvent dénoncé par les  divers électorats comme en témoigne l’actualité des conclaves partisans, est celui de  la crise de la représentativité sociale des acteurs politiques ivoiriens, de la rupture de la vie sociale et de la vie politique. Vue sous une perspective démocratique, la scène politique ivoirienne offre un spectacle d’entre-soi d’acteurs politiques en concurrence pour la prise du pouvoir. Politiquement instrumentalisée, la  réconciliation  est brandie par les  coalitions, les alliances stratégiques d’appareils partisans et d’acteurs politiques engagés  dans la lutte pour le pouvoir.

Ces alliances instrumentales n’ont rien à voir avec la réconciliation nationale démocratique pérenne. Celle-ci s’enracine dans la représentativité sociale des classes politiques et  réunit, à nouveau, les diverses parties séparées  du corps social dans le consensus sur les valeurs de la Démocratie républicaine. Les alliances électoralistes entre les chefs des appareils partisans communautairement et régionalement reliés à leurs électorats respectifs, ne conduisent jamais à une réconciliation démocratique transversale de leurs communautés de base.

Le fait historique massif est que la société ivoirienne demeure divisée en une multitude de sociétés partielles utilisées comme ressources par la classe  politique en sa totalité. Cette dernière se dispute le pouvoir d’Etat à partir d’une vision communautaire ou régionaliste du corps politique et  aspire à conserver et à transmettre ce pouvoir par un processus de dévolution monarchique. Ce projet antipolitique se nourrit nécessairement du maintien de la division sociale et de son approfondissement.

La réconciliation républicaine et démocratique est un obstacle à ce projet. L’acteur de cette  réconciliation politique  est le peuple démocratique qui, par la conscience et le sentiment de la citoyenneté, par la critique, la dénonciation et l’interpellation, contraint quotidiennement le pouvoir à reconstruire sa représentativité sociale. Or, ce peuple réel ivoirien n’est pas le peuple démocratique. Le peuple réel ivoirien est l’ensemble atomisé de sociétés partielles dont les membres se définissent eux-mêmes en termes communautaires et régionalistes et consentent à leur instrumentalisation par les acteurs politiques à partir de cette conscience de soi identitaire.

Le problème politique  ivoirien s’éclaire alors à partir de cette impasse. En Côte d’Ivoire, la conscience et le sentiment de citoyenneté sont déficients. La nation citoyenne est en crise. La société ivoirienne est caractérisée par une déficience et une rareté d’individus généraux dans les trois corps de la cité à savoir, la société civile, la société politique et l’Etat. Elle est marquée par la pénurie de ces individus animés par des idéaux et capables de se dépasser pour porter le projet républicain et démocratique.   

La réconciliation ivoirienne est donc une tâche de longue haleine. Elle sera l’œuvre d’un rassemblement d’individus généraux qui uniraient leurs forces pour offrir une autre alternative politique, économique et sociale en Côte d’Ivoire.  Elle proviendra de la suppression volontariste des séquelles de l’ancien régime.  Elle résultera de la reconstruction du corps social et politique, de la substitution de la représentativité sociale à la représentativité communautaire des acteurs politiques. Elle procédera de l’abrogation de la tutelle exercée par l’État sur la société civile et de la tendance des partis à fusionner avec l’État et à instrumentaliser le corps social. Elle découlera de la séparation et de la coordination démocratique de l’exécutif, du législatif et du judiciaire qui travailleraient à réconcilier la particularité avec la généralité en Côte d’Ivoire. Elle sera l’œuvre d’un système politique autonome, d’une administration indépendante, et d’un État serviteur du Bien commun et défenseur de l’Intérêt général.

Les commentaires sont fermés