Le nationalisme identitaire contre la démocratie en Côte d’Ivoire.

En Côte d’Ivoire, le nationalisme identitaire et le national-populisme ont déjà sévi. Ils demeurent un danger prégnant contre lequel il faut prémunir la démocratie ivoirienne. Le péril ethno-nationaliste et national-populiste n’a pas encore été déraciné malgré le changement de régime. La panne emblématique et symbolique de la réconciliation nationale ivoirienne en témoigne. Cette panne ne tient ni à une justice prétendument partiale et inefficiente, ni à un manque de volonté du gouvernement. Elle tient à la nature antinomique et irréconciliable des deux conceptions de la Nation et de l’Etat qui s’affrontent en Côte d’Ivoire. Les tenants de la conception identitaire de la nation récusent les tenants de la conception citoyenne de la nation. Les élections successives ont par ailleurs apporté la preuve de la polarisation ethnique, régionaliste et confessionnaliste de l’électorat ivoirien. Radicalisée par une dizaine d’années de propagandes ethno-nationaliste et national-populiste débilitantes, une grande partie de la population peine à retrouver les repères citoyens qui rendirent possible, durant une quarantaine d’années, la coexistence à l’ivoirienne de la diversité sociale. Restée sous l’emprise de la drogue empoisonnée du populisme identitaire, elle attend son messie.

 En Côte d’Ivoire plus qu’ailleurs en Afrique, la tentation identitaire est donc prégnante dans le contexte de la montée en puissance du national-populisme identitaire dont les thématiques semblent aujourd’hui électoralement payantes.

Pour les démocrates et les républicains ivoiriens de tous bords, le problème capital aujourd’hui est donc d’empêcher un retour au pouvoir de la calamité nationaliste et populiste qui conduirait à une régression démocratique du pays. Il importe pour cela d’amener d’abord les Ivoiriens à prendre conscience du péril, à opposer la volonté démocratique au trauma ethno-nationaliste et populiste qui, comme un inconscient collectif et un refoulé terrifiant et inavouable, continue de régenter sournoisement leur présent.

 N’ayant pas été désigné et identifié comme tel, le nationalisme et le populisme identitaires qui avaient enfoncé  profondément leurs racines en terre ivoirienne ont  continué d’opérer sous des déguisements divers. Portées par certains acteurs politiques et par une certaine partie de l’intelligentsia universitaire, ces représentations destructrices de la Nation et de l’Etat, ont continué d’attaquer inlassablement, sous des camouflages divers, la jeune démocratie ivoirienne.

Les thématiques et les éléments de langage qui furent mobilisés pour récuser les élections depuis Décembre 2010, pour dénier au Président élu  sa légitimité, pour déserter l’institution d’opposition, furent des thématiques identitaires et nationales-populistes. Ces thématiques et ces éléments de langages sont bien connus : l’étranger qui vient s’emparer du pouvoir d’Etat afin d’exproprier les nationaux et piller les ressources du pays au profit d’intérêts étrangers ; la mise sous tutelle du pays par des forces lointaines, des centres de pouvoirs économiques et politiques étrangers et leurs relais locaux ; la défense d’une identité nationale menacée par une invasion d’étrangers ; la résistance au néocolonialisme, à l’agression de l’ancien colonisateur qui menace à nouveau la souveraineté nationale. Il est donc vital  de lever le voile sous lequel s’abrite le national-populisme identitaire, qui mène un travail de sape contre la démocratie en Côte d’Ivoire.

La problématique politique ivoirienne a été faussement assimilée à un affrontement régulier entre démocrates de différentes obédiences. L’activité contestatrice de l’opposition ivoirienne a été prise pour une interpellation démocratique du gouvernement. Or, il n’en est rien. Loin d’être de simples épisodes d’une lutte démocratique menée par une opposition soucieuse de limiter le nouvel Etat ivoirien par les droits de l’homme, les divers blocages partisans et les boycotts électoraux qui émaillèrent la récente histoire politique de la Côte d’Ivoire depuis les années 2000 furent, comme nous l’avons pressenti et souligné en divers articles (cf. cedea.net), un combat à la vie et à la mort mené contre la démocratie en Côte d’Ivoire par les tenants locaux du nationalisme et du populisme identitaire.

 L’intelligibilité véritable de la problématique politique ivoirienne doit donc être nécessairement éclairée à partir de la perspective du combat du nationalisme identitaire contre la démocratie. Le nationalisme identitaire ivoirien n’est pas une réaction défensive autonome des identités culturelles contre la mondialisation qui menace de les broyer. Il relève au contraire de leur exploitation par des factions ivoiriennes désireuses de s’approprier les mémoires ethniques pour des fins politiques. Les tenants ivoiriens du nationalisme identitaire et du national-populisme ne se réfèrent pas à  l’ethnicité et aux traditions culturelles locales pour lutter contre les systèmes de pouvoir et pour résister aux mécanismes de domination nationaux et internationaux. L’ethnicisation et la régionalisation du débat politique, la stigmatisation de l’étranger, servent à récuser la citoyenneté, à légitimer l’autochtonisation du pouvoir, à délégitimer la République et à instituer un Etat communautaire. Le refus de la nouvelle Constitution ivoirienne, le rejet du référendum qui devait l’entériner furent les moments emblématiques de ce combat du nationalisme identitaire et du populisme contre la démocratie.

Il est donc vital de souligner qu’en Côte d’Ivoire, le nationalisme identitaire et le national-populisme ne sont nullement des réactions symptomatiques locales aux effets pervers de la mondialisation économique et culturelle. Ils sont au contraire des armes opportunistes dont l’usage est motivé par le souci de rétablir un régime antidémocratiques et illibéral en Côte d’Ivoire. Le devoir le plus urgent des démocrates et de l’intelligentsia critique ivoirienne est alors de dénoncer l’imposture identitaire et national-populiste en Côte d’Ivoire, de déconstruire son discours, de déchirer les déguisements sous lesquels il se dissimule.

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