Le nationalisme identitaire et le populisme en Afrique : forces de libération ou impostures ?

Nourries par les expériences du passé, les démocraties libérales du monde occidental s’évertuent, aujourd’hui, à dresser un cordon sanitaire contre la montée en puissance du nationalisme identitaire. Identifié à la régression socio-économique et politique, il est perçu comme épouvantail qui ne saurait en aucun cas prétendre être une solution au problème d’exclusion, de déclassement et de déréliction sociale provoqué par la face sombre du marché mondialisé et de l’économie globalisée.

 En Afrique, au contraire, le nationalisme identitaire bénéficie, a priori, d’une image plutôt positive. Il est considéré comme étant une nouvelle figure du radicalisme des mouvements de libération anticolonialistes. Cette nouvelle forme du radicalisme anticolonialiste prétendrait conduire la décolonisation à son achèvement.Elle travaillerait à la conquête de la souveraineté totale des Etats et des peuples contre une modernité et une modernisation économique identifiées, toutes les deux, comme nouvelles figures du colonialisme.

Les nationalistes et les populistes africains, qui jouissent pour cela d’une popularité incontestable dans une frange non-négligeable de la population du continent, n’hésitent pas à se revendiquer de l’héritage des grands bâtisseurs de nations et d’empires précoloniaux tels Sunjata Keïta, Osei-Tutu, Samory Touré ou Béhanzin pour ne citer qu’eux. Ces nationalistes et populistes africains des temps nouveaux n’hésitent pas à situer leur engagement politique dans la continuité de celui des grands noms de la lutte anticolonialiste tels Patrice Lumumba, Julius Nyéréré, Félix Houphouët-Boigny, Kwamé Nkrumah, Kenneth Kaunda, Jomo Kenyatta, ou Nelson Mandela.

Cette filiation autoproclamée du nationalisme identitaire et du populisme africain contemporain avec les nationalismes antérieurs, précolonial et anticolonialiste, est-elle justifiée ?

Comme le montre l’action exemplaire de Sunjata Kéita, le bâtisseur de la nation Mandingue, le nationalisme des bâtisseurs précoloniaux d’empires africains fut un nationalisme d’intégration, d’assimilation ou, à tout le moins, de coexistence des cultures et des peuples étrangers conquis durant les guerres d’établissement. Le nationalisme des mouvements de libération anticolonialistes fut, quant à lui, un nationalisme universaliste ouvert et modernisateur. Le nationalisme identitaire contemporain porté par des figures emblématiques telles Jacob Zuma et son ANC en Afrique du sud, Laurent Gbagbo et son FPI en Côte d’Ivoire ou Robert Mugabe au Zimbabwe est, au contraire, un nationalisme antimoderne et xéphobe, un nationalisme d’exclusion, de différenciation, d’infériorisation et de rejet de l’Altérité.

Cette différence de nature entre le nationalisme africain contemporain de nature identitaire et populiste et les nationalismes africains antérieurs de nature intégratrice et ouverte, appelle une approche comparative qui fait saillir le caractère antinomique de leurs objectifs politiques, sociaux et économiques respectifs. Elle permet de déconstruire deux mythes : premièrement, celui de la fidélité de l’ethno-nationalisme à la tradition de la lutte anticolonialiste africaine ; deuxièmement, celui de la positivité du radicalisme ethno-nationaliste populiste contemporain qui permettrait de répondre aujourd’hui aux demandes de justice sociale, de reconnaissance et d’émancipation des peuples africains.

Les nationalismes africains antérieurs et l’ethno-nationalisme populiste contemporain sont radicalement opposés dans leur nature et dans leurs  objectifs respectifs. Le nationalisme des mouvements africains de libération nationale s’est appuyé sur les ressources culturelles endogènes et sur les loyautés traditionnelles pour rejeter la domination coloniale. Issus génétiquement de la tradition de manipulation politique de l'ethnicité, l’ethno-nationalisme et le populisme africain contemporain font, au contraire, appel au passé, aux coutumes et aux traditions pour conquérir le pouvoir d'Etat et le confisquer, pour écarter des adversaires politiques, récuser les oppositions, diviser la société et exercer une  domination tutélaire sur les populations du pays. Le nationalisme des pères des Indépendances africaines fut un nationalisme universaliste et modernisateur. Il mobilisa  le passé et la tradition au service de l’avenir et de la modernité . Il ouvrit les cultures des territoires respectifs « au vent de la modernité et de la rationalisation », envisagea de construire une Afrique unie dans le panafricanisme qui récuse les frontières arbitrairement installées par le colonialisme. De nos jours, les ethno-nationalistes et les populistes africains en appellent au contraire  au passé et aux traditions  pour fermer les cultures et les territoires les uns  aux autres, pour récuser la modernité et la modernisation identifiées aux figures d’un néocolonialisme. Les nationalistes africains, artisans des luttes anticolonialistes, convoquèrent les traditions pour construire, à l’intérieur des nouveaux Etats, une nation universaliste constituée par l’unification des cultures traditionnelles et modernes. L’objectif politique de ce nationalisme fut de bâtir une République et une société plurielle unifiée par la citoyenneté. Les nouveaux nationalistes populistes africains en appellent, au contraire, à l’autochtonie pour légitimer et instituer une conception différentialiste et ségrégationniste de la nation fondée sur l’identité du sang. Ils se réfèrent au passé pour rejeter les formes politiques de la modernité et en appeler à la restauration des chefferies, des royautés et des monarchies précoloniales. Les anciens nationalistes africains, qui ne furent jamais des populistes, se posèrent en défenseur altruistes d’une tradition ouverte sur l’altérité et la modernité. Les nouveaux nationalistes identitaires africains, qui sont volontiers populistes, se posent en défenseurs xénophobes du territoire et du sang contre le monde, l’étranger et l’altérité. Les anciens nationalistes voulaient s’appuyer sur les cultures pour engager l’Afrique dans le marché international et la modernisation afin de garder le contrôle du changement social et économique inéluctable et nécessaire de l’Afrique. Les nouveaux nationalistes identitaires et populistes africains veulent retirer du marché international, leurs Etats et leurs territoires respectifs pour réaliser la justice sociale et promouvoir le bonheur des peuples dans une économie nationale fermée. Au plan politique, économique et social, cette colossale imposture se traduit par des contradictions insupportables dans les faits et dans les discours. Peut-on se réclamer du panafricanisme tout en prônant la fermeture des territoires et le repli des cultures sur elles-mêmes ? Peut-on prétendre pouvoir répondre aux impératifs économiques nouveaux et aux demandes sociales des peuples dans une économie nationale fermée, alors que la nation n’est plus aujourd’hui le cadre symbolique et territorial de la modernisation dans une économie désormais globalisée et interdépendante?

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