La redistribution des fruits de la croissance, raison d’être sociale de la démocratie.

La démocratie libérale est faite pour redistribuer les fruits de la croissance, redistribution nécessaire qu'appelle l'impératif économique d'investissement et d'accumulation des ressources. Comme nous le montre Alexis de Tocqueville, le projet politique ultime qui anime la démocratie est de réaliser l'égalité de condition des citoyens, d'assurer de manière tangible à tous les membres de la cité une dignité des conditions de vie. Les trois dimensions de la démocratie libérale, la citoyenneté, la représentation politique des intérêts sociaux, la limitation du pouvoir par les droits de l’homme, ont une finalité sociale et concourent à réaliser ce projet.

La citoyenneté appelle l’Etat à renforcer la société nationale par la modernisation économique et par l’intégration sociale. La représentation des intérêts sociaux par l’Etat impose à ce dernier de redistribuer les produits de la croissance, de défendre l’intérêt général et de servir le Bien commun. La limitation de l’Etat par les droits fondamentaux lui commande de mettre en œuvre une politique économique destinée à « briser les mécanismes de reproduction sociale au profit des libertés », à substituer un principe de mouvement et de mobilité au principe d’immobilité des ordres anciens et des castes. La finalité de la modernisation économique démocratique est de transformer la société en permettant l’accès égalitaire de tous à l’ascenseur social. Le régime démocratique vise à supprimer les discriminations sociales et économiques, les inégalités et les injustices, à empêcher la privatisation du bien public, vice qui a pour nom la corruption.

Dimension économique de la démocratie libérale, le libre marché est aussi animé par un idéal égalitaire et un idéal d'autonomie des personnes qui doivent pourvoir à leurs besoins en déployant sans entrave leur génie créateur dans un système marchand dépersonnalisé. Le rôle de la démocratie libérale est dans cette optique d'assurer institutionnellement à tous les citoyens une égalité des chances. Il est d'empêcher les monopoles, de rendre impossible la confiscation des mécanismes marchands et la privatisation de l’État par des oligarchies.

Le marché et l’État démocratique de droit participent d'un même refus, le refus de l'hétéronomie de l'existence du plus grand nombre, le refus de la précarité humaine et de la domination. Ils s'articulent tous les deux pour récuser toutes les souverainetés absolues et pour affirmer l'autonomie des personnes et des collectivités.

La défiance des autocrates et de certaines élites africaines qui, en mal de domination, récusent la démocratie libérale, s’explique en profondeur par leur volonté de se soustraire au cahier des charges exigeant de ce régime politique. Rejeter la démocratie libérale sous le motif fallacieux qu’elle aurait été imposée aux Africains par les anciens colons et par l’Occident, permet de délégitimer le régime de la souveraineté du peuple. Cette thèse évidemment fausse, que je déconstruirai dans une prochaine contribution, sert à maintenir les régimes d’oppression. La démocratie libérale et l’économie libre de marché battent en brèche et mettent en péril la volonté et les stratégies de domination des oligarchies politiques et économiques.

Avoir en vue le projet d'émancipation individuelle et collective qui est la raison d'être de la démocratie libérale et de l'économie de marché, peut nous permettre en Afrique d'en éviter le dévoiement. Cet horizon normatif permet de récuser toutes les trahisons perpétrées contre l'idéal démocratique et toutes les perversions de l'économie de marché, notamment sa dérive en mercantilisme et en économie financiarisée purement spéculative.  

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