Crise sociale ivoirienne : l’interprétation de Mr Michel Galy est-elle objective?

Déjouant toutes les prophéties apocalyptiques, la récente crise ivoirienne, exprimée par les mutineries militaires et par la prolifération des mouvements sociaux,  est en train de s’apaiser par la négociation et le compromis social. Elle n’était pas une crise politique motivée par la contestation populaire de la légitimité du gouvernement et par une volonté de révolution. L'objectif des mouvements sociaux qui proliférèrent dans le pays, n’était pas de renverser « un pouvoir Dyoula » et « une mouvance Mandingue » comme le veut  le « politologue » français Michel Galy qui utilise, conformément à son parti-pris identitaire, ces termes caractéristiques de sa lecture idéologique des questions politiques africaines. Elle n’était pas, comme le prétendait ce « spécialiste » de l’Afrique subsaharienne (cf blogs de mediapart : les invites de mediapart : fragile Côte d'Ivoire ), une révolte d’ « autochtones » contre une domination politique et économique supposée d’étrangers. La crise ivoirienne n’était pas animée par une volonté de remplacer le régime démocratique et républicain par un régime communautariste et identitaire dirigé par un gouvernement « d’autochtones ». La crise ivoirienne était une crise sociale motivée par une revendication d’intérêts catégoriels et par une demande populaire légitime de redistribution et de représentativité sociale du gouvernement.

 Instruments institutionnels de la résolution des conflits sociaux en démocratie, le dialogue, la négociation et le compromis social ont permis de dénouer la crise qui se révèle ainsi être effectivement, en ces causes profondes, socialement motivée. Au-delà des revendications catégorielles, la crise interpellait le pouvoir sur le registre du respect des principes éthiques de la gouvernance démocratique qui rendent possible la représentativité sociale des acteurs politiques. Elle n’aspirait pas à rejeter le régime pluraliste et les élections qui ont consacré son avènement.

Faut-il le rappeler, la démocratie est construite pour rendre possible la coexistence, l’intégration et l’unité politique de la pluralité sociale. Elle est bâtie pour assurer la représentativité politique des demandes sociales, pour résoudre politiquement, par la négociation sociale et par le compromis, les affrontements inévitables entre les intérêts divergents des acteurs sociaux. Elle est faite pour gérer institutionnellement l’asymétrie entre l’investissement et la redistribution, la contradiction entre les intérêts à long terme de l’Etat et ceux à court terme de la société.

 En 2002, ce principe démocratique de dialogue constructif, de négociation et de compromis social à opposer aux revendications et demandes sociales, fut allègrement piétiné par le pouvoir de Laurent Gbagbo qui prétendait pourtant incarner la paternité de la démocratie en Côte d’Ivoire.

A la mutinerie des militaires réclamant en 2002 l’inclusion politique de toutes les parties du corps social ivoirien, il opposa la force de la réaction militaire. Aux mouvements sociaux revendicatifs qui émaillèrent sa gouvernance entre 2000 et 2010, il opposa la répression militaire et sécuritaire, répondit par une fin de non-recevoir au lieu d’y répondre par le dialogue, la négociation et le compromis social. La crise sociale se mua alors en crise politique. Le régime de Gbagbo fut militairement et politiquement contesté du fait du viol systématique des principes de la démocratie définie comme régime de la pluralité sociale et politique. Ce viol s’enracinait dans la vision autocratique et identitaire du corps politique qui poussait le FPI de Laurent Gbagbo à récuser la contestation, la contradiction et la revendication, à attribuer a priori au mouvement social une signification politique et le réprimer

Interprétant la mutinerie militaire et la prolifération des mouvements revendicatifs comme moment significatif de ce régime de la pluralité, à la différence du parti-pris idéologique de Michel Galy , l’article analytique objectif et critique du Mr Didier Niewiadowski fait ressortir la cause sociale, éthique et morale de la crise ivoirienne. ( http://www.jeuneafrique.com/396868/politique/cote-divoire-rattrapee-passe/ ). La problématique soulevée par l’auteur est celle d’une nécessaire réprésentativité sociale de la démocratie ivoirienne, de la restauration d’une gouvernance soucieuse d’exemplarité, attentive aux demandes sociales,  au service du bien public. « Tenant compte du précédent burkinabé, -souligne-t-il- le président Ouattara devrait peut-être davantage s’attaquer aux véritables causes de la crise actuelle plutôt que d’en tirer les conséquences. » Pour  Mr Didier Niewiadowski, les  détournements de deniers publics révélés dans les récents scandales retentissants qui ont secoué la Côte d’Ivoire, la corruption et la prévarication « décuplent les revendications des laissés-pour-compte de la croissance économique ». Le gouvernement ivoirien devrait donc traiter en profondeur le malaise social ivoirien en sévissant contre la corruption qui tend à gangrener l’appareil d’Etat et qui donne à la population le sentiment que la classe dirigeante confisque le trésor public, sert ses intérêts particuliers au lieu de servir l’intérêt général et la société.

Ecartant cette problématique cruciale, sociale et de gouvernance éthique, Michel Galy voit, au contraire, dans la crise ivoirienne un conflit politique, une révolte nationaliste et identitaire provoquée la confiscation de l’Etat par « un pouvoir Dyoula » par l’invasion de la Côte d’Ivoire par des « Sénoufo » venus du nord, par des « Malinkés » venus du Burkina Faso et du  Sahel, par « une mouvance Mandigue » selon ses propres termes. Ce « pouvoir Dyoula » serait soutenu par les multinationales et par la France qui auraient installé à la tête de l’Etat, pour défendre leurs intérêts, un de leurs pions en perpétrant, en 2010 « un coup d’Etat » contre un natif ivoirien.

 Ainsi, d’après la grille de lecture surannée de la lutte anticolonialiste et du tiers-mondisme paternaliste français qui surdétermine sa pensée, Mr Michel Galy déplace arbitrairement la crise ivoirienne, du terrain de la revendication sociale en démocratie sur le terrain de la lutte politique des autochtones contre une domination étrangère. Cette interprétation dogmatique de la crise sociale ivoirienne est régie par les a priori idéologiques d’une certaine mouvance intellectuelle démonétisée et décrédibilisée: le tiers-mondisme antidémocratique complotiste et le nationalisme identitaire xénophobe. En Afrique ces idéologies dangereuses sont les ferments des dictatures brutales et corrompues prétendument révolutionnaires, qui se disputent le terrain avec les autocraties liberticides prétendument libérales, au détriment de la démocratie.

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