La crise de représentativité sociale des dirigeants politiques dans la démocratie africaine : causes profondes et solutions

Le projet de la démocratie représentative est de défendre les droits fondamentaux de la personne, de protéger les libertés individuelles et collectives, d’améliorer les conditions de vie du plus grand nombre au moyen du régime de la souveraineté du peuple. En Afrique, ce projet  est entravé par la crise de représentativité sociale des partis et des dirigeants politiques et par la résilience de la logique des autocraties. Le libre choix des gouvernants par les peuples et le respect des procédures démocratiques fonctionnent sans réussir à permettre au plus grand nombre de participer aux décisions politiques, sans pouvoir assurer la représentation politique des besoins vitaux des populations et répondre aux demandes sociales de la majorité.

 La démocratie, comme régime de la souveraineté du peuple fondé sur le principe de l’égalité de droit, peine donc à se réaliser comme société, à instituer, dans les faits, l'égalité de condition entre tous les membres de la cité. L’absence d’un système politique autonome et performant qui médiatiserait les rapports entre la société et l’Etat de telle sorte que les choix politiques soient déterminés par les besoins sociaux, que les offres du haut correspondent aux demandes du bas, se fait cruellement sentir. La dualisation sociale s’approfondit. Les inégalités se creusent malgré les performances économiques  des Etats. La politique démocratique des gouvernements ne réussit pas à promouvoir une gestion des conflits sociaux et une redistribution qui permettraient de traduire dans les faits de manière tangible, au niveau économique et social, l’égalité de droit entre les membres de la cité. Déconnectées des besoins du peuple, qui semble être réduit au statut d’électeur et de ressource pour les partis, nos classes politiques sont au service de  leur propre pouvoir, se préoccupent de leurs intérêts catégoriels n’ayant d’autre souci que l’enrichissement personnel de leurs membres.

L’impression générale est donc que la démocratie représentative africaine est impuissante à instituer un pouvoir serviteur de la société et à promouvoir le changement social. Cette rupture entre les représentants et les représentés, cette déconnexion des mandataires par rapport aux demandes des mandants, cette indifférence des acteurs politiques par rapport aux besoins concrets des acteurs sociaux est le signe manifeste de la crise de représentativité sociale des pouvoirs politiques. Elle explique l’inefficience sociale et politique de la démocratie africaine.

L’acuité de cette crise donne l’impression que le régime et la logique des autocraties, des despotismes et des dictatures continuent de régenter le régime de la démocratie représentative. Le pouvoir politique semble toujours  gouverner la société, la soumettre à ses priorités internes et à son propre programme d’appareil,  au lieu d’être gouverné par la société, d’être soumis aux demandes exprimées par les forces sociales et de former son programme politique conformément à ses demandes. En nos démocraties, le haut semble toujours continuer à commander le bas, et lui imposer ses choix. Pour surmonter cette déficience majeure de la démocratie africaine, il importe d’en déterminer les causes profondes. Celles-ci semblent relever de la résilience des logiques, des cultures et des modèles socio-politiques antidémocratiques du passé.

 La culture politique de la démocratie représentative peine à prendre racine dans la manière de penser des élites dirigeantes. Elle est battue en brèche par  la culture tributaire qui structure encore la vision du monde des oligarchies politiques africaines actuelles constituées par les avant-gardes et descendants des mouvements de libération anticolonialistes. Concevant le peuple comme redevable de ses libérateurs ils s’approprient sa souveraineté et la confisquent. Considérant le pouvoir politique comme un patrimoine réservé, ils confondent son exercice avec la gestion d’une propriété privée devant leur assurer des rentes en guise de dédommagement des souffrances endurées sur les champs de batailles et dans les maquis. La culture politique de la démocratie représentative est aussi attaquée par la culture despotique des avant-gardes des mouvements nationalistes révolutionnaires qui estiment devoir incarner le prolétariat et le paysannat  dans un parti national chargé d’avoir le monopole de l’ Etat contre les étrangers et les minorités. Elle est enfin attaquée par la culture des étatismes postcoloniaux qui définissent l’acteur politique comme un gouverneur, chargé de conduire le peuple sans se préoccuper de son avis, de diriger et de soumettre la société aux choix prétendument « éclairés » des gouvernants.

Le passage à la démocratie n’a donc pas impliqué, chez les élites dirigeantes locales, une rupture idéologique et culturelle avec les anciens régimes et les anciennes mentalités, une nouvelle représentation égalitaire de l’ordre socio-politique fondée sur la réappropriation culturelle des droits de l’homme. La réussite de la conversion démocratique du continent passe donc nécessairement par cette révolution mentale du haut. La démocratie représentative africaine doit être réorientée à la fois vers le projet égalitaire et libéral qui la définit comme régime de la représentation de la pluralité sociale, de la confrontation des intérêts, des valeurs et des projets sociétaux contradictoires également légitimes. Elle ne doit pas se réduire à l’élection des dirigeants par les peuples. Elle doit se vivre comme débat d’idées et comme participation du plus grand nombre aux décisions politiques. Elle doit s’exercer concrètement et quotidiennement comme résolution institutionnelle des conflits sociaux par un système politique autonome qui légifère pour médiatiser les rapports entre la société civile et l’Etat dans le sens du service de l’intérêt général, de la défense des droits individuels et collectifs. La solution à la crise de la représentativité sociale du pouvoir politique qui mine la démocratie africaine réside en cette révolution mentale des élites dirigeantes et en cette révolution démocratique des rapports entre l’Etat, le système politique et la société civile.

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