Construire la représentativité sociale des partis politiques pour renforcer la démocratie en Afrique.

En Afrique, le principe démocratique du libre choix des dirigeants par les peuples fait désormais consensus. Le monopole et la dévolution monarchique du pouvoir, le refus de l’alternance, apparaissent comme des scandales, autant pour les opinions publiques que pour la majorité des dirigeants politiques. Mais l’impératif de représentativité sociale des dirigeants politiques, qui est pourtant la raison d’être de la démocratie, est le parent pauvre de cette conversion démocratique. La démocratie est dite représentative en ce qu’elle permet dans un Etat de soumettre les forces politiques aux demandes et aux besoins des forces sociales.

En nos démocraties, la soumission impérative des acteurs politiques aux demandes des acteurs sociaux, au service de leurs besoins vitaux, de leurs intérêts et de leurs droits fondamentaux, n’est pas encore  considérée comme étant la raison d’être du suffrage universel. On réduit la légitimité démocratique à la légitimité électorale et on assimile la représentativité démocratique à la représentativité communautaire et confessionnelle. Or, un acteur politique élu sur la base de son appartenance communautaire, confessionnelle ou régionale n’est pas pour autant démocratiquement représentatif et légitime. Ils sont légion les cas où les intérêts sociaux et les droits des membres de la communauté, de la confession et de la région, sont foulés au pied par les élus identitaires dans l’exercice de leurs fonctions politiques. La représentativité communautaire, confessionnelle ou régionale n’est pas sociale. Elle satisfait à une exigence d’incarnation identitaire qui est à mille lieux de la représentativité démocratique.

La représentativité démocratique est une représentativité sociale. Cela veut dire que la démocratie est représentative au sens où, dans ce régime, les demandes et projets des acteurs sociaux déterminent les choix des acteurs politiques. « Un système politique ne peut être démocratique que s’il représente les intérêts des acteurs sociaux » souligne Alain Touraine. Un élu n’est démocratiquement représentatif que s’il représente et défend politiquement les intérêts et les projets de ses électeurs.

Au-delà de l’élection, la légitimité démocratique de l’acteur politique est donc déterminée par son aptitude à répondre aux demandes de ses mandataires et à servir leurs intérêts vitaux. En démocratie, la légitimité du pouvoir repose par-dessus tout sur sa représentativité sociale. « La démocratie doit être représentative » cela veut dire que « les forces politiques, les partis en particuliers, doivent être au service d’intérêts sociaux et non pas se servir elles-mêmes ».

La déficience de la représentativité démocratique de nos systèmes politiques tend donc à montrer que le consentement volontaire ou forcé des pouvoirs africains au principe démocratique du libre choix des dirigeants par les peuples recouvre encore un maintien du principe despotique et de la logique autocratique. La société  demeure sous l’emprise du pouvoir politique qui lui refuse son autonomie et qui la considère comme une ressource. Elle continue d’être embrigadée par des factions politiques,  d’être soumise   aux mots d’ordre des partis, aux stratégies d’appareils, aux objectifs et aux intérêts personnels des dirigeants. Cette résilience de la logique autocratique  révèle que nos affrontements politiques démocratiques  demeurent déterminés par la logique de la prise et de la conservation du pouvoir, et non par celle de la transformation des rapports de production et de l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre. Déterminée par cette logique générale, l’élection démocratique devient un instrument servant à légitimer le monopole du pouvoir par les élites dirigeantes.

La démocratie, autrement dit le gouvernement du peuple par le peuple, ne se réalise pas dans un pays du seul fait que le peuple choisit librement ses dirigeants et que l’alternance du pouvoir s’effectue sans entrave. Sans référence à la représentativité sociale, le libre choix des dirigeants par les peuples se réduit à la concurrence entre des équipes dirigeantes qui définissent leur fonction politique indépendamment des besoins de la société.

La démocratie doit être représentative pour être complète. Plus exactement, le libre choix des dirigeants doit être complété par leur effective représentativité sociale pour que la démocratie soit efficiente et puisse atteindre ses objectifs politiques ultimes qui sont de réaliser l’égalité de conditions des citoyens, de défendre leurs droits fondamentaux, d’émanciper et d’intégrer socialement, économiquement et politiquement les membres de la cité.

Au-delà du libre choix des gouvernants par les peuples, la thématique générale de la lutte démocratique en Afrique doit être recentrée sur la représentativité sociale des forces politiques. Il faut, pour cela, rejeter les formes de représentativité antidémocratiques telle la représentativité communautaire, confessionnelle et régionale qui sert à occulter la déficience de la représentativité sociale des forces politiques. Il importe de récuser  la définition non-sociale communautaire, confessionnelle et révolutionnaire des dirigeants et partis qui ont toujours servi à installer contre les peuples des dictatures communautaires ou confessionnelles et des dictatures de parti-Etat

L’urgence démocratique en Afrique est donc de construire une définition sociale des partis et des dirigeants politiques. Le bulletin de vote et les institutions doivent les contraindre à s’ancrer dans les demandes et les besoins sociaux des populations. Le pouvoir démocratique africain doit être conçu comme un instrument au service de la société. Autrement dit, la priorité doit être accordée à la représentativité sociale sur la prise du pouvoir qui doit désormais être conçue comme instrument de la représentation et du service des intérêts sociaux. Au-delà de l’élection, le critère de la légitimité démocratique des dirigeants, de la représentativité des élus doit être resitué dans ce principe.

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