Populisme identitaire et anticolonialisme démagogique : symptômes de la partitocratie en Afrique.

En Afrique, la démocratie avance résolument. Elle doit cependant réussir à franchir des obstacles redoutables pour ainsi dire mortels. Elle doit surmonter la crise de la  représentativité sociale des partis politiques qui empêche la transformation de l’Etat africain en service des intérêts de la société et en puissance protectrice des droits fondamentaux de la personne. Cette crise ne se manifeste pas seulement par la personnalisation du débat et des affrontements politiques. Elle se traduit aussi par le populisme identitaire et par le discours anticolonialiste démagogique. Ces pathologies politiques se donnent à voir dans les divers épisodes électoraux africains où brillent l’absence des débats d’idées, la déficience de la confrontation des modèles sociétaux, des programmes politiques et économiques. Autant dire que la montée des populismes identitaires, qui revivifie les discours victimaires et les logiques d’extraversion, est pour la démocratie africaine un danger mortel dont il importe de prendre toute la mesure.

La crise de la représentativité partisane à l’ère de la démocratie multipartite africaine se donne à voir, de manière spectaculaire, dans le caractère pléthorique de partis politiques institués hors de toute emprise sociale. Elle se remarque dans la déficience d’ancrage social de ces partis formés par génération spontanée et qui ne reflètent pas les catégories socio-professionnelles entre lesquels se partagent les pays. Ce défaut d’ancrage  social conduit ces partis à s’octroyer un principe de légitimation par le nationalisme identitaire et par la revendication d’un statut de protecteur du peuple contre les étrangers et contre le néo-colonialisme. Matrice du populisme, la lutte de libération nationale est recyclée en programme politique pour servir les intérêts privés de nouveaux entrepreneurs politiques soucieux de s’aménager une voie d’accès au pouvoir et aux ressources publiques.

Symptôme de cette pathologie, le clientélisme politique et l’achat des votes incarnent une logique d’instrumentalisation de la société qui, dans le droit fil des autocraties précédentes, devient une ressource politique pour les nouveaux partis. L’achat des votes soumet la société à l’emprise des forces politiques. Cette marchandisation des voix qui en fait les instruments des intérêts privés d’un tiers, corrompt le principe de l’élection démocratique. Transformé en marchandise, le vote n’est alors plus la propriété inaliénable de l’électeur, autrement dit des gouvernés qui en disposeraient souverainement pour sanctionner les gouvernants. L’achat des voix permet aux partis politiques de se délier de leur fonction institutionnelle qui consiste à être soumis aux besoins et aux intérêts des forces sociales, à agréger leurs demandes, à les formuler, à les représenter et à les défendre au niveau politique.

Cette désappropriation du vote, cette transformation des forces sociales en clientèles dépendantes des partis et des acteurs politiques, est ensuite hermétiquement scellée par la subversion de la représentativité sociale en représentativité d’incarnation communautaire, ethnique, confessionnelle et régionale. La représentativité d’incarnation brise le principe démocratique de dépendance du politique au social et de reddition des comptes qui en procède. Elle lie l’acteur social à l’acteur politique par un principe non-social et surnaturel à savoir la biologie, le sang, le lignage, les ancêtres, les dieux tutélaires et Dieu.

Opéré sous cette modalité, cet ancrage antidémocratique des acteurs politiques dans la société permet à ces derniers d’y gommer les conflits d’intérêts entre dominants et dominés et entre catégories sociales à l’intérieur des corps politiques. Cette subversion de la représentativité démocratique transmue les conflits sociaux internes, à savoir  l’opposition entre dominants et dominés à l’intérieur du pays, en conflits externes des nationaux contre une puissance étrangère hostile. Elle permet de convertir en conflits politiques externes entre autochtones et étrangers, entre colonisés et colonisateurs, la contradiction des intérêts sociaux catégoriels qui émergent nécessairement dans une société hétérogène.

La subversion de la représentativité sociale permet ainsi de délier les dirigeants africains de leur devoir politique qui est de représenter et de servir les intérêts des acteurs sociaux, de garantir institutionnellement leurs droits primordiaux. Elle permet  de détourner le regard critique des populations hors des frontières sur des dangers imaginaires et des boucs émissaires.

Cette externalisation des conflits d’intérêt entre les catégories sociales locales  permet aux acteurs politiques africains d’exploiter le passif colonial, d’instrumentaliser les identités pour se poser en défenseurs d’une nation menacée par des forces étrangères. Grâce à cette subversion de la représentativité démocratique, la lutte anticolonialiste et la défense identitaire deviennent les thèmes généraux de la lutte politique africaine contemporaine. La posture anticolonialiste et le populisme identitaire deviennent des principes de légitimation politique en lieu et place de la représentation politique des intérêts et besoins des catégories sociales.

 Ce camouflage permet de couvrir la dérive de la démocratie en partitocratie, de dissimuler la séparation entre les partis politiques et les besoins de la société civile. Soixante ans après les indépendances africaines, la résilience de la thématique de la lutte de libération apparaît clairement comme un camouflage des nouvelles politiques de prédation en œuvre dans les partitocraties africaines qui se substituent activement aux autocraties. Il importe donc de saisir le lien organique reliant la partitocratie, la personnalisation du débat politique, le populisme identitaire et la subversion de la lutte politique interne africaine en lutte externe contre une nouvelle colonisation occidentale. En Afrique la personnalisation du débat politique, le discours identitaire partisan, le populisme et l’anticolonialisme démagogiques apparaissent comme étant les indices de la déficience de la représentativité démocratique. Symptômes de la partitocratie, ils servent externaliser la domination et la prédation politiques internes pour les dissimuler.

 Il est vital de déconstruire cette dynamique et ces logiques de subversion pour reconstruire la représentativité des partis politiques africains. L’histoire montre que la suppression démocratique de la domination interne par la reconstruction de la représentativité sociale des acteurs politiques et par la limitation du pouvoir par les droits humains est, en effet, la condition de l’émancipation économique et politique des peuples. Cette représentativité et cette limitation du pouvoir par les droits de l’homme permettent de transformer l’Etat en force de développement. L’histoire montre au contraire que le populisme identitaire et  la lutte de libération contre un ennemi extérieur négligent toujours les besoins sociaux internes, les nécessités du développement et finissent toujours par installer une dictature ou une autocratie.

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