François Soudan a-t-il raison de justifier « cette Afrique qui vote Lepen » ?

thumb_1911Dans une tribune intitulée «Cette Afrique qui vote Lepen»
(Voir l'article sur Jeune Afrique ), François Soudan rend raison de la motivation profonde des pro-Lepen et des pro-Donald Trump africains. La prise du pouvoir par les partis identitaires occidentaux profiterait  aux Africains car contrairement au passé ces pouvoirs protectionnistes défendraient en Afrique leurs intérêts à visage découvert. Cette transparence aurait  l’avantage d’abroger la duplicité et l’hypocrisie précédente des Etats occidentaux qui abritèrent leur tutelle néo-colonialiste  et la défense de leurs intérêts nationaux  sous le paravent de la défense des droits de l’homme. Cette nouvelle donne, estime François Soudan, permettrait désormais une confrontation sans équivoque des intérêts dans les relations Nord-Sud et instituerait, au bénéfice des Etats africains, une logique du donnant-donnant.

Apparemment pertinent, ce point de vue doit cependant être récusé. Notre hypothèse est au contraire que l’allégresse des pro-Lepen et des pro-Trump africains est motivée par un objectif moins noble. La jubilation des identitaires africains, s’explique prosaïquement par le fait que ces derniers se reconnaissent dans le nationalisme identitaire, dans la préférence nationale, dans la xénophobie et le racisme de leurs congénères occidentaux. Le succès électoral des blocs identitaires occidentaux permettra à leurs congénères africains de remettre ouvertement en question les droits de l’homme en Afrique, de les dénoncer comme superstructures idéologiques du capitalisme international et comme camouflage d’intérêts néocoloniaux. L’accréditation politique des nationalismes identitaires en Occident permettra de légitimer le nationalisme identitaire en Afrique, de le consacrer comme instrument de conquête du pouvoir d’Etat. Il permettra de battre en brèche la démocratie par un nouvel autoritarisme politique de type identitaire.

Pathologie née de la crise de l’égalité dans la mondialisation dérégulée, le nationalisme identitaire est finalement une opportunité stratégique pour les nouvelles élites politiques africaines  qui aspirent à s’inscrire, sous une modalité différente, dans une nouvelle logique de prédation, de négation des droits de l'homme et des intérêts des sociétés civiles africaines montantes.

Il est donc vital de récuser la thèse de François Soudan qui occulte cette dimension essentielle du problème de la montée du nationalisme, du protectionnisme et de la xénophobie en Occident. La démission des classes politiques africaines s’était auparavant dissimulée sous la logique victimaire. La montée des nationalismes en Occident légitimera désormais  leur propension à l’autoritarisme et au refus des principes universalistes du Droit.

Le problème africain n'est donc pas que les chefs d'Etats et les dirigeants occidentaux aient auparavant défendu hypocritement leurs intérêts en Afrique jusqu’à ce jour. Le problème majeur est que chefs d'Etats et les acteurs politiques africains se soient révélés insoucieux des intérêts de leurs peuples depuis les Indépendances. Le problème est qu’ils aient, dans l’Afrique postcoloniale, identifié leur fonction politique au service de leurs intérêts personnels et familiaux, à la négation des intérêts et du bien-être de leurs peuples. Le problème est que les pouvoirs politiques africains postcoloniaux se soient faits complices de la domination de leur propre pays par des puissances étrangères laissant ainsi leurs propres peuples orphelins. Cette démission historique des pouvoirs africains, rend suspect leur moralisme face aux Etats Occidentaux  qui servent et défendent leurs intérêts nationaux conformément au principe démocratique de représentation des intérêts des acteurs de la société civile par l’Etat. On aurait, en effet, attendu des dirigeants politiques africains qu’ils défendent les leurs, conformément à ce principe démocratique. A supposer que la dénonciation de l’agressivité des Etats étrangers en Afrique par les pouvoirs africains soit faite de bonne foi, elle signifierait de leur part une coupable méconnaissance de cette loi d’airain qui commande autant la politique intérieure que la politique étrangère des Etats.

 Il est du devoir d’un Etat de représenter et de défendre les intérêts des acteurs de sa société civile dans le territoire national et à l’étranger. En démocratie ce principe est sacré. En vertu du principe de représentation des intérêts sociaux qui fonde la légitimité du Pouvoir en démocratie, le chef d’État et les dirigeants politiques d'un État-nation démocratique sont nécessairement tenus de défendre et de servir  les intérêts de leurs populations.

Cette défense légitime des intérêts souverains de la nation en politique étrangère,  est au fondement des rapports de force qui structurent les relations interétatiques. La faiblesse des Etats africains dans cette concurrence internationale s’explique donc, moins par la tutelle néo-colonialiste des Etats occidentaux, que par la déficience de la représentativité des pouvoirs africains. Ces derniers entretiennent un rapport contre-nature de prédation interne et de domination envers leurs sociétés civiles. Cette déficience de la représentativité sociale des Etats africains, ne sera donc pas corrigée de l’extérieur par l’accréditation politique des nationalismes protectionnistes en Occident. Elle sera au contraire corrigée de l’intérieur, à travers l’affermissement de la démocratie et le développement de la culture des droits de l’homme en Afrique.

C’est par rapport à cette exigence démocratique menaçante pour les intérêts des pouvoirs prédateurs locaux qu’il faut appréhender l’acclamation africaine des nouveaux modèles identitaires occidentaux. C’est sous l’éclairage de cette donne politique qu’il faut appréhender l’empressement avec lequel  les identitaires africains s’inscrivent déjà dans un projet de partenariat stratégique avec leurs congénères occidentaux. Leur cible commune est la démocratie et la culture des droits de l’homme. La politique du donnant-donnant nord-sud qu’inaugurerait l’avènement de pouvoirs nationalistes protectionniste xénophobes en Occident, est celle de la mansuétude et de l’indifférence de ces derniers face à la violation des droits de l’homme par leurs congénères africains.

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