Réponse à Monsieur Frédéric Saint Clair : le « Trump bashing » est justifié.

thumb_1895Monsieur Frédéric Saint Clair

Dans votre plaidoyer pro-Trump, vous disculpez l’intéressé de toute intention de violer les fondamentaux de la politique démocratique instituée en Occident depuis une tradition qui remonte à Montesquieu. Vous montrez que Donald Trump est « un libéral, brutal et parfois grossier, mais un libéral », qui n’aspire nullement à installer une dictature aux États-Unis parce qu’il révoque, en tant que libéral, l’autorité politique et la puissance étatique. Vous montrez par la suite que son protectionnisme est une opportunité pour les Européens et notamment pour les Français qui devraient, selon vous, voter Donald Trump. Comme vous le dites, « Trump, par sa politique (national-protectionniste, c’est nous qui soulignons) laisse un vide, une opportunité aux nations européennes de rattraper leur retard, c'est-à-dire de recentrer leur positionnement sur l'échiquier international » afin d’influencer le droit des organisations internationales.

Ainsi la politique de Trump serait avantageuse pour les intérêts géostratégiques, politiques et économiques des Européens. En relativisant la brutalité du discours identitaire de Trump, en mettant l’accent sur les opportunités stratégiques qu’ouvre son national-protectionnisme, relativement aux intérêts des nations et des Etats européens, vous avez sûrement raison. Mais avez-vous raison quand vous relativisez la gravité de ses déclarations identitaires, relativement aux intérêts de la démocratie qui est devenue un modèle politique normatif dans le monde?

En tant qu’Africains et notamment ivoiriens, engagés dans le cheminement  difficile vers la démocratie constitutionnelle électorale, dans un contexte où la légitimation du discours identitaire par les acteurs politiques de premier plan des démocraties occidentales,  constitue une menace grave pour le progrès de la démocratie dans le monde, nous envisageons légitimement le cas Donald Trump sous une perspective différente de la vôtre. Et nous donnons raison au monde démocratique non-européen des sociétés multiethniques qui considère que le « Trump bashing » est fondé.

Aux yeux de ce monde, qui s’alarme à juste raison de la future gouvernance Trump, ce n’est pas la dérive dictatoriale, évidemment impossible, du régime Trump qui inquiète. En insistant sur cet aspect de la question à partir d’un point de vue exclusivement Européen-occidental, vous enfoncez des portes ouvertes et vous occultez l’essentiel. L’élément fondamental de portée mondiale  du phénomène Trump a trait à l’usage du discours identitaire comme instrument de la conquête du pouvoir d’Etat par un candidat à la présidentielle aux Etats-Unis, la plus ancienne démocratie qui a valeur d’exemple aux yeux du monde. La dimension capitale que vous passez sous silence, c’est le progrès de la démocratie dans le monde, progrès  que pourrait entraver le mauvais exemple donné par Donald Trump aux Etats-Unis. L’élément problématique et inquiétant du phénomène Trump réside dans cette forme de légitimation symbolique du discours identitaire par un candidat à la présidentielle des Etats-Unis, un candidat qui a été élu sur la foi de son électorat en ce programme. Que Poutine ou l’un de ses protégés ait utilisé le discours identitaire comme arme de conquête du pouvoir n’aurait pas étonné et inquiété outre mesure les démocraties non-européennes du monde en ce XXIème. Mais que l’un des candidats à la présidence des Etats-Unis, le modèle mondial de la démocratie et de la liberté politique, mobilise un discours identitaire brutal à tonalité racialiste, en vue de la conquête du pouvoir d’Etat en ce pays, ne peut manquer d’inquiéter légitimement les démocrates africains. Ce d’autant plus que, symboliquement, les apprentis dictateurs du continent, tels Pierre N’Kurunziza du Burundi et certains thuriféraires du pouvoir d’extrême droite identitaire ivoirienne, se sont empressés d’adresser leurs félicitations au nouveau locataire de la Maison-Blanche et d’applaudir chaudement son élection à partir de la perspective antidémocratique qui est la leur  et que légitime le discours identitaire de Donald Trump.

Les démocrates africains ne perçoivent donc pas l’adoucissement du discours présidentiel de Donald Trump comme étant le signe  de ses vertus libérales et démocratiques. Ils y décèlent au contraire une reculade tactique destinée à sauver les apparences pour maintenir au sommet de l’Etat une politique conforme aux fondamentaux identitaire de son discours de campagne et  où l’incorporation de l’establishment et de la famille mêle la continuité du système tant décrié au conflit d’intérêt et au népotisme. Ils perçoivent donc  ce mélange de reculades apparentes et de gages donnés aux suprématistes Blancs comme étant les signes inquiétants de la duplicité d’un homme d’affaires, sans programme démocratique et sans projet sociétal intégrateur. Ils y voient une dérive symbolique  de la démocratie Etats-Unienne  qui risque de renforcer dans d’autres parties du monde, par son exemplarité, les défauts contre lesquels les démocraties doivent nécessairement s’affranchir pour répondre aux demandes des peuples, pour représenter leurs besoins et servir leurs désirs d’émancipation.

La duplicité inaugurale de la future gouvernance Trump fait donc saillir, à la fois, le caractère purement instrumental de son discours de campagne et le défaut majeur de la démocratie américaine consistant en ce que les partis politiques ne soient plus que des machines électorales de conquête du pouvoir qui promeuvent un usage sans foi ni loi de la rationalité instrumentale : le pouvoir par tous les moyens y compris la séduction de l’électorat par des discours dangereux, des mensonges et sa trahison éventuelle dès la conquête du pouvoir réalisée. Réprouvant cette dérive gravissime inaugurée par la campagne électorale nauséeuse de Donald Trump, les citoyens américains se bouchèrent symboliquement le nez.

Ce que le monde non-européen reproche à Donald Trump est justement d'avoir excité les affects et les pulsions primaires, d’avoir légitimé le discours identitaire et le national-protectionnisme afin de les utiliser comme armes de conquête du pouvoir d’Etat dans la plus grande démocratie du monde et dans le pays le plus puissant du monde. En prononçant ce jugement, nous prenons légitimement en compte nos propres intérêts politiques continentaux en tant qu’Africains engagés dans la voie de la démocratie et non ceux des pays Européens qui apprécient les avantages liés à l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, selon la perspective de leurs propres intérêts et selon une approche purement instrumentale de la rationalité politique,

Le « Trump bashing » est donc fondé parce que l’opinion mondiale non- européenne, attendait de la plus grande démocratie du monde et du pays le plus puissant du monde, une campagne électorale plus civilisée et de son président, un symbole d’équilibre rationnel, de jugement politique avisé, de sérénité, de pondération, de maîtrise de soi et non un symbole d’excès, de démesure, de brutalité, de duplicité et d’irrésolution : un défi que Barack Hussein Obama a réussi à relever avec brio durant les huit années de sa présidence et à la hauteur duquel ne semble pas pouvoir se hisser Donald Trump, l’adepte du suprématisme Blanc, qui mettait en doute les origines et la capacité de son prédécesseur à diriger les Etats-Unis.

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