Donald Trump et nous les ivoiriens.

thumb_1890Les Etats-Unis, l'Amérique et l'Europe démocratiques ont accueilli l'élection de Donald Trump avec sidération et inquiétude. Sa xénophobie assumée, son discours identitaire brutal, sa vision d’une Amérique fermée au monde, ses excès verbaux sont dénoncés et condamnés aux États-Unis et dans toutes les démocraties d'Europe Occidentale. Chez nous en Côte d'Ivoire, un parti politique tient ouvertement ces mêmes propos xénophobes, ce même discours identitaire brutal, sans susciter ni sidération, ni inquiétude des démocraties d'Afrique, d'Europe et d'Amérique. Ce parti est même reconnu, par les susnommées démocraties comme un parti normal d'opposition, alors même que le parti de Marine Lepen et ses semblables en Europe sont regardés avec méfiance et inquiétudes par ces mêmes démocraties qui cherchent à s’en prémunir.

S'il est quasi certain que les piliers juridiques et les contrepoids institutionnels solides des États-Unis empêcheront Donald Trump de mettre en pratique ses propos identitaires, d'expulser massivement les étrangers, de violer les droits de l'homme, il n'en fut pas de même en Côte d’Ivoire quand le parti nationaliste identitaire d’extrême droite accéda au pouvoir entre 2000 et 2010. En Afrique ces piliers juridiques et ces contrepoids institutionnels sont faibles et quasi inexistants. Preuve en est que plusieurs organisations des droits de l’homme, dans le cas spécifiques de la Côte d’Ivoire, furent en réalité et demeurent encore des organisations satellites civiles du parti extrémiste  identitaire ivoirien. Se revendiquant du socialisme ce parti assume néanmoins son discours identitaire lequel apparaît alors comme étant l’idéologie de fond que le discours démocratique de circonstance des cadres du parti sert à camoufler.

A la lumière de l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, la récente virulence du discours identitaire que le parti identitaire ivoirien mobilisa lors du référendum en Côte d’Ivoire nous oblige à rebondir sur le propos tenu par Mr Eric Coquerel, le lieutenant de Mr Mélenchon leader de l’aile gauche radical du parti socialiste français. Pour Mr Coquerel, l’élection de Donald Trump est «le symptôme hideux et identitaire de l’agonie du capitalisme globalisé et du libre-échange». Il est donc «urgent de construire une autre issue» dit-il. Ne pourrait-on pas alors soutenir  qu’en Côte d’Ivoire  la "gauche" extrémiste actuelle qui tient le même discours identitaire et populiste que Donald Trump est le symptôme hideux de l'agonie du socialisme tropicalisé et du nationalisme protectionniste ethniciste, une dérive gravissime qui rend urgent la recherche en Côte d’Ivoire d’une autre issue, notamment d’une opposition socialiste ou social-démocrate ?

A la différence notable de Donald Trump qui modéra ses propos de campagne les plus nauséeux dès son élection à la présidence, ce parti politique, revendiqua jusqu’au bout la violence de ses propos identitaires, les accompagna d’un massacre symbolique, dès la prise du pouvoir en 2000 (cf la soixantaine de ressortissants du nord de la Côte d’Ivoire, massacrés à Yopougon) et mit en œuvre ses promesses identitaires dès qu'il eut en main les leviers de l’Etat. Il élabora une nouvelle constitution pour soutenir sa politique identitaire et xénophobe et gouverna pendant dix ans en respectant, à la lettre, les fondamentaux du nationalisme identitaire. Le monde entier a donc vu de quoi était capable ce parti ivoirien qui se dit de gauche mais qui en parole et en actes est un parti identitaire d'extrême droite.

Après que ce parti ait perdu le pouvoir au terme de plusieurs massacres commis par ses forces militaires, ses services de sécurité et ses milices en 2010, ses divers réseaux caporalisés « des droits de l’homme », ses soutiens d'extrême gauche très actifs dans les pays européens et qui s'émeuvent étrangement aujourd'hui de l'accession au pouvoir de Donald Trump aux Etat-Unis, élaborèrent son impunité en Côte d'Ivoire en fabriquant un concept approprié : celui de "justice du vainqueur" pour lier les mains à ses victimes, pour jeter le suspicion sur leurs témoignages et leurs plaintes judiciaires. Est-il besoin de souligner que ce parti ivoirien reçut aussi des conseils du Front National identitaire et xénophobe de Marine Lepen qui le soutient jusqu'à ce jour? Incarcéré à la prison de la CPI  Haye pour répondre des massacres perpétrés à partir d’une conception identitaire de la Nation, l'architecte de ces crimes massifs est en ce moment considéré par ces réseaux européens et américains comme un innocent injustement condamné .

Au vu et au su de tout le monde ce parti, qui ne s'est nullement amendé de ses exactions, tient à reconquérir le pouvoir avec les recettes de Donald Trump. Mobilisant ce discours identitaire nauséabond, il est néanmoins considéré comme un parti d’opposition normale et gratifié du titre flatteur « d’opposition ivoirienne ». Avec sidération et affliction, les démocrates ivoiriens s'étonnent de cette légitimation politique indirecte du populisme identitaire xénophobe par les chancelleries et les associations internationales de surveillance de la démocratie et des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, alors même qu’il est condamné brocardé et perçu ,au même moment, comme un danger aux Etats-Unis et en Europe Occidentale.

Pour que ce scandale prenne fin en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier, il faut que l'intelligentsia ivoirienne et africaine soit, comme nous l'avons souligné plusieurs fois en nos articles sur cedea.net, capable d'indignation morale, qu'elle soit capable de ne pas réduire la démocratie exclusivement aux procédures.

Au-dessus des procédures, il faut rapporter la démocratie à ses valeurs morales et éthiques qui en sont, au sens propre et figuré du terme, les murs porteurs. C'est précisément à partir de ce bastion éthique et moral qu'est possible, la sidération et l'inquiétude qui accueillent, aux Etats-Unis et en Europe, l'arrivée inimaginable de Trump au pouvoir. Que Trump soit arrivé au pouvoir par les procédures, n'en fait pas un démocrate, comme en témoignent ses propos violents, insultants et xénophobes  et sa vision des Etats-Unis. Chez nous en Côte d'Ivoire un parti identitaire dangereux, qui a déjà fait ses preuves sur ce registre au gouvernement, peut tenir ouvertement ce discours identitaire terrifiant et paraître aux yeux d'un grand nombre d'ivoiriens comme un parti d'opposition démocratique! Même quand il viole le premier principe de la démocratie, à savoir l’élection et le respect des résultats des urnes, en appelant de manière récurrente au boycott électoral ! Sur le chemin de la démocratie, nous avons donc en Afrique et en Côte d'Ivoire spécifiquement un palier épistémologique, un palier éthique et un palier moral à franchir pour être pleinement démocrates.

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