La personnalisation du débat politique en Afrique Noire, symptôme de la crise de représentativité sociale des partis politiques.

thumb_1788En Afrique Noire, la démocratie souffre de la crise de représentativité sociale des partis politiques. Cette crise se manifeste par la personnalisation du débat politique par la réduction de la lutte politique à la conquête du pouvoir. La vie politique africaine se caractérise par la lutte féroce des différentes fractions  de la classe politique pour le contrôle du pouvoir. Ce ne sont pas des programmes politiques, des projets de société, des solutions partisanes contradictoires qui s’affrontent par acteurs politiques interposés pour répondre aux besoins vitaux et aux demandes des populations. Ce sont les acteurs politiques qui s’affrontent en instrumentalisant les ethnies, les confessions, les régions et les populations pour accaparer le pouvoir d’Etat et en faire un usage personnel.  Ainsi, l’affrontement démocratique en Afrique noire se donne à voir comme férocité des affrontements personnels et fureur des affrontements entre partis politiques fonctionnant en roue libre pour se servir eux-mêmes.

Ces traits caractéristiques de la lutte politique africaine contemporaine sont  symptomatiques d’une crise de la représentativité sociale des gouvernants. Ils ne sont pas des phénomènes anecdotiques d’une démocratie tropicalisée. Après l’ère des autocraties, cette marque spécifique de l’affrontement politique africain exprime la déconnexion des partis politiques avec les forces sociales. Précédemment massifiées et atomisées par les dictatures et les autocraties, les forces sociales sont devenues, à l’époque du multipartisme, les ressource politiques des partis spontanément créés qui cherchent à accroître leur propre pouvoir et celui de leurs chefs respectifs. Le rapport des nouveaux partis politiques à la société se situe dans la continuité de la tradition du contrôle des groupes sociaux par le parti-Etat. Les forces sociales demeurent sous l’emprise des forces politiques et ces dernières, déconnectées des besoins de la société, se servent elles-mêmes.

En Afrique Noire, les partitocraties ont donc succédé aux autocraties. A l’ère de la domination de la société par le parti-Etat succède celle de la domination de la société par les partis politiques émancipés de l’Etat et sans définition sociale. Pour démocratiser l’Etat et la société politique, il est nécessaire de reconstruire la représentativité sociale des partis politiques africains. Il faut abroger le mouvement autocratique qui descendait de l’Etat vers le parti unique et vers la société. Il faut le remplacer par un mouvement démocratique ascendant qui monte de la société vers les partis politiques et vers  l’Etat. Il est vital de mettre les partis politiques sous l’emprise de la société. Pour transformer le conflit politique africain en conflit des intérêts sociaux, pour changer l’affrontement politique africain en affrontement des programmes politiques et des projets de société, l’orientation et la matière des actions partisane doivent être définies par la société. La société doit reconstruire la définition sociale des partis politiques  et leur imposer ses priorités.

La démocratie est représentative quand les partis politiques sont socialement représentatifs, correspondent aux catégories socio-professionnelles et en sont les émanations politiques. En démocratie, la fonction institutionnelle des partis politiques est d’exprimer les catégories sociales, d’agréger leurs demandes pour les défendre au niveau de l’Etat. Elle est d’assurer la liaison entre la société civile et la société politique. La démocratie est donc représentative quand les forces politiques sont commandées par les forces sociales, quand elles  représentent et servent les intérêts et les valeurs de ces forces. Dans ce cas, la lutte et le débat politiques se réalisent comme confrontation des valeurs et des intérêts contradictoires des catégories sociales représentées par les partis. La compétition électorale s’exprime à travers la confrontation des programmes politiques et des projets de société concurrents élaborés par les partis avec la matière des demandes sociales pour satisfaire les besoins sociaux. L’objectif de la lutte partisane démocratique est, dans ce cas, de transformer les rapports sociaux de production, de représenter et de défendre les intérêts des catégories sociales au niveau politique. La représentativité sociale des partis politiques transforme la lutte pour l’exercice du pouvoir en compétition pour prendre le gouvernement afin de mettre la puissance publique au service des intérêts sociaux du plus grand nombre.

Quand la démocratie n’est pas représentative, les partis politiques s’affrontent au contraire  pour confisquer le pouvoir afin de le mettre au service de leurs  intérêts particuliers partisans et des intérêts privés de leurs chefs. En rupture avec la société, avec les catégories sociales, avec leurs besoins et leurs demandes, la lutte politique prend la forme d’un affrontement entre des personnes et des groupes qui ne poursuivent que des intérêts personnels ou particuliers, qui cherchent à prendre le pouvoir et à le confisquer pour cette fin.

La personnalisation de l’affrontement politique en Afrique Noire, la réduction de la lutte politique à un combat mortel pour la confiscation du pouvoir sont bel et bien les indices d’une dérive de la démocratie en partitocratie. Cette dérive partitocratique est la conséquence d’une crise de la représentativité sociale des partis politiques africains. Ces derniers naquirent par génération spontanée, après la dislocation des partis uniques. Ils continuent de naître sous ce même régistre au gré des élections présidentielles.

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