Côte d’Ivoire : une assemblée constituante sans volonté de vivre-ensemble est une impossibilité politique et juridique.

thumb_1779Une assemblée constituante sans volonté de vivre-ensemble est une impossibilité politique et juridique. Démontrons conceptuellement et analytiquement cette assertion en suivant, pas à pas, la raison.

Sans assemblée constituante, il n’y a pas de constitution parce que l’assemblée constituante est la cause motrice de la constitution. Il faut nécessairement une assemblée constituante pour produire, écrire ou reformer une constitution. Mais l’assemblée constituante est, elle-même, l’effet de la volonté de vivre ensemble de tous les membres d’une collectivité sociale. Il faut que les acteurs de la constitution partagent en commun la volonté de vivre ensemble, la volonté d’égalité et de liberté, pour donner forme à une assemblée constituante. Cette volonté collective de vivre ensemble, cette volonté constituante, est la cause formelle, la raison d’être de l’assemblée constituante et de la Constitution qui en dérive. Sans elle, il ne peut y avoir d’assemblée constituante ni de constitution.

Car la cause finale de la constitution est de constituer la Cité, c’est-à-dire de donner naissance à une République démocratique, un régime de liberté, d’égalité, de reconnaissance réciproque, de coexistence de la diversité sociale. Le texte de la Loi Fondamentale est la cause matérielle de la Constitution. Il concrétise, il incarne dans l’espace et dans temps, cette volonté de coexistence, d’égalité de liberté  de la pluralité sociale.

Pour expliquer rationnellement et objectivement tous les phénomènes, toutes les réalités qui existent dans le temps et dans l’espace, il faut, comme nous le montre Aristote, les rapporter à cette quadruple causalité : la cause formelle, la cause motrice, la cause matérielle et la cause finale. En appliquant cette règle des quatre causes à la problématique constitutionnelle ivoirienne en vue de l’éclairer, ce traitement analytique révèle que le blocage qui en empêche la résolution  se situe au niveau de la  déficience de la cause formelle. La volonté de vivre ensemble, la volonté d’égalité, de liberté, de reconnaissance réciproque des altérités, cause formelle de l’assemblée constituante,  n’est pas partagée par toutes les parties prenantes de la problématique constitutionnelle ivoirienne.

A l’origine du problème constitutionnel ivoirien se trouve donc un dissenssus originel, une aporie et une impasse politique dont il semble qu’on ne puisse sortir qu’en restaurant et en réaménageant la Constitution républicaine fondatrice de novembre 1960 en ses diverses formes successives. Définissant la Nation en termes ethniques, récusant l’hétérogénéité sociale fondatrice de la République démocratique, les partisans ivoiriens du bloc identitaire annihilent, de fait, les conditions formelles de possibilité d’une assemblée constituante. En réclamant  une assemblée constituante, ils demandent, une réalité impossible du fait même de leur parti-pris idéologique. Demander une assemblée constituante tout en récusant les prérequis psychologiques, politiques et juridiques qui la rendent possible, est logiquement contradictoire. L’assemblée constituante, assemblée populaire qui constitue le corps politique comme République résulte de la volonté, expressément déclarée et formulée par tous les membres d'une collectivité, de vivre-ensemble dans une communauté juridique unifiée par l’égalité et la similarité.

« L'assemblée constituante » constitue juridiquement, consacre par un TEXTE ayant valeur de LOI FONDAMENTALE, cette volonté préalablement formée par les membres d'une collectivité hétérogène de vivre ensemble et de se reconnaître réciproquement comme similaires et égaux. Il n’y a pas d’assemblée constituante sans volonté politique collective constituante préalable

Jean-Jacques Rousseau nous montre que la fondation de la Cité résulte de la volonté commune des hommes de sortir de l'état de nature, état d’injustice et d'aliénation, pour vivre ensemble dans un état civil juridique fondée sur la Loi rationnelle institutrice d’égalité, de liberté et de justice. Cette volonté commune de faire société entre gens divers est la condition de l’Assemblée constituante qui donne naissance à la République et à la cité démocratique. En France l’Assemblée constituante de 1789  procéda de volonté collective de tous les peuples de France et de leurs représentants de construire, en lieu et place, de l’ancien régime d’oppression d’inégalité et d’exclusion, une société nouvelle de liberté, d’égalité et de fraternité, une société d’intégration. Les assemblées constituantes successives que connut le pays procédèrent toujours de la volonté collective de perfectionner, au fil du temps,  ce régime de  liberté d’égalité, de fraternité et d’inclusion. Aux Etats-Unis d’Amérique la Convention de 1787 qui donna naissance à la Constitution procéda de la volonté collective des constituants américains de bâtir une République fédérale inclusive fondée sur la reconnaissance des droits de chaque citoyen à la liberté et à l’égalité et un Etat démocratique fondé sur le respect des droits de l’homme. En Côte d’Ivoire l’assemblée constituante de 1960 naquit de la volonté commune des peuples ivoiriens de vivre ensemble, d’inclure toutes les composantes de la cité dans un nouveau corps politique républicain structuré par l’égalité et la liberté.

Une assemblée constituante sans volonté républicaine et démocratique collective constituante est donc une monstruosité, un non-être historique, politique et juridique. En appeler à une assemblée constituante à partir du refus principiel  de la volonté de vivre ensemble, du rejet de l'égalité, et de la similarité mais aussi du respect de la différence relève donc du registre de la contradiction contre-performative politique et juridique. Il importe de faire ressortir rationnellement  cette contradiction pour éclairer le point nodal de la problématique constitutionnelle ivoirien et pour fournir un point d’orientation au citoyen et à l’électeur ivoirien. Le drame de la Côte d’Ivoire est d’avoir une opposition qui n’est pas à la hauteur de la démocratie.   

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