Crise de succession patrimoniale au Gabon ou crise d’alternance démocratique du pouvoir ?

thumb_1603Pour résoudre la crise politique gabonaise et pour instituer la démocratie au Gabon suffira-t-il de « recompter les voix, bureau de vote par bureau de vote » comme l’exigent Jean Ping et ses partisans, appuyés en cela par la communauté internationale ? Le cacique Jean Ping est-il un démocrate par conviction ? N’est-il pas un clone d’Ali Bongo avec les frasques et le mode de vie ostentatoire de l’héritier en moins ? La guéguerre entre Ali Bongo et Jean Ping oppose-t-elle un dictateur désireux de confisquer le pouvoir et un démocrate déterminé à briser un système de prédation instituée d’Etat? N’est-elle pas, au contraire, celle de deux oligarques qui se disputent le pouvoir par peuple interposé ?

A supposer que la faction Ali Bongo cède à la pression de la communauté internationale, accède à la demande du recomptage des votes « bureau par bureau », et que la vérité des urnes révèle la victoire électorale de Jean Ping, la démocratie serait-elle pour autant mise sur les rails au Gabon ? Le passé autocratique de ce pays serait-il résilié, pour de bon, à travers une alternance du pouvoir? Est-on, au Gabon, en face d’un problème d’alternance démocratique du pouvoir ou d’une crise de succession patrimoniale ? Lorsque les membres du sérail d’une autocratie, d’une famille ou d’une oligarchie se succèdent au pouvoir pour continuer à le conserver en instrumentalisant le suffrage universel, doit-on parler d’alternance démocratique du pouvoir ou de succession patrimoniale  et de dévolution monarchique du pouvoir?

L’alternance démocratique du pouvoir est une condition de la démocratie quand elle n’est pas confondue avec ses formes dévoyées. Engagée résolument sur le chemin difficile de la Démocratie, l’Afrique Noire doit maintenir son Orient. Elle doit éviter de se laisser circonvenir par des illusions politiques dont la plus dangereuse est la démocratie formelle, l’électoralisme, la poursuite de la lettre de la démocratie et le rejet de son esprit.

Soucieuse de stabilité politique dans une Afrique remuée par la passion démocratique mais menacée par le danger terroriste, la communauté internationale cherche à éviter le chaos au Gabon comme précédemment au Tchad et au Congo-Brazzaville. Elle tend pour cela à consacrer l’électoralisme, à légitimer les nouveaux pouvoirs africains en poussant à une alternance formelle du pouvoir qui ne remet pas en cause, en profondeur, les ordres anciens établis au profit des systèmes de domination postcoloniaux, locaux et étrangers. 

Acteur majeur de l'oligarchie familiale qui tient le Gabon sous son joug depuis une cinquantaine d'années, Jean Ping n'est pas, selon toutes les apparences et les réalités historiques, une solution pour le Gabon. Il semble au contraire être un problème. Son opposition et sa colère contre Ali Bongo sont celles d'un potentiel successeur qui s'est vu ravir le trône présidentiel qu’il lorgnait. Le discours identitaire, que sa faction et ses réseaux mobilisèrent durant la campagne électorale contre Ali Bongo pour tenter de le délégitimer, est identique au discours identitaire qui fut mobilisé en Côte d'Ivoire contre Alassane Ouattara par les clans politiques qui estimaient que le pouvoir d'Etat ivoirien leur revenait par héritage familial après la mort de Félix Houphouët-Boigny. Néanmoins, les frasques d'Ali Bongo, ici décrites par un article du journal le Monde datant de 2015(cf http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/01/07/au-gabon automobiles-de-luxe-et-exasperation-sociale_4550509_3212.html) montrent éloquemment que l’homme ne répond pas aux qualités personnelles exigées pour la gouvernance impartiale d’un Etat démocratique. Les reproches qu’il adresse à ses opposants en les accusant de vouloir s’emparer du pouvoir d’Etat par la force « pour se servir et non pour servir les gabonais » peuvent lui être retournés. Ali Bongo est, au Gabon, la version locale de Obiang N’Guema en Guinée Equatoriale.

 Le problème gabonais, comme nous le montrions dans notre précédente contribution, n'a donc pas simplement trait au rétablissement de la vérité des urnes, au respect de la vox populi. C’est la confiscation de l’Etat par une oligarchie politique qui pose problème. C’est la légitimation de la succession patrimoniale par les urnes, c’est le blanc-seing donné à la prévarication d’Etat au moyen du suffrage universel qui est éminemment problématique. Cette nouvelle escroquerie opérée par les pouvoirs africains sur le dos des peuples doit être dénoncée.

Bien plus efficace et plus subtile que la tricherie électorale brutale, l’instrumentalisation oligarchique de l’élection démocratique fait système avec la manipulation des constitutions. Ce duo calamiteux  des temps nouveaux permet aux autocrates africains de continuer à confisquer le pouvoir. Il permet aux factions politiques organisées de pérenniser l’accaparement de l’Etat au détriment des peuples. Il abrite sous l’autorité du droit, la mise en coupe réglée des pays par des familles et par des oligarchies. Telle est la substance du problème africain dont le problème gabonais n'est qu'un exemple emblématique. Au Gabon la solution du recomptage des voix pour départager le cacique et l’héritier fait donc diversion car elle protège une succession patrimoniale sous le manteau de l’alternance démocratique du pouvoir.

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