Au Gabon, le rejet du système vermoulu de prédation.

thumb_1588Ni Ali Bongo, ni Jean Ping mais une transformation substantielle de la politique au Gabon et ailleurs en Afrique pour faire de l’Etat le gardien des libertés individuelles et collectives, le défenseur de l’intérêt général, le serviteur de la société et du bien-être des populations  : c’est la demande de fond qui émerge de la crise post-électorale que traverse le Gabon. Les invectives de l’héritier et du cacique qui se disputent la légitimité électorale occultent cette demande de fond. Elle transparait pourtant dans le cri de révolte d’un manifestant gabonais anti-Ali Bongo "Tous les jours c'est la même souffrance : aller 'puiser' l'eau (aux pompes publiques), s'éclairer avec des lampes-tempête à cause des coupures d'électricité, pas de boulot… Il n'a rien fait pour nous. ». Cet abandon scandaleux du plus grand nombre par le pouvoir gabonais dans un petit pays riche en pétrole et en forêts est autant  le passif d’Ali Bongo que celui de Jean Ping qui continuent pourtant de se disputer le pouvoir en revendiquant chacun la légitimité électorale dans une logique patrimoniale.

Il faut donc éviter de réduire exclusivement la crise Gabonaise au problème de la régularité des procédures électorales et de la transparence de la proclamation des résultats. A focaliser l’attention sur la régularité des procédures, on occulte l’essentiel. La crise post-électorale gabonaise est le symptôme d’une gestion patrimoniale et rentière de l’Etat, d’une politique systématique de prédation qui explique l’âpreté du combat fratricide opposant l’héritier Ali Bongo au cacique Jean Ping. La question de fond n’est donc pas de savoir si Ali Bongo a gagné les élections à la régulière ou si Jean Ping n’a pas en réalité été floué d’une victoire. Elle est de savoir si ces deux candidats, qui appartiennent au clan et à la famille qui a eu la gestion de l’Etat depuis une cinquantaine d’années, ont servi en tant que magistrats les intérêts supérieurs du  peuple gabonais, ont travaillé à élever son niveau de vie, à réaliser les infrastructures nécessaires qui devraient améliorer ses conditions d’existence, à diversifier l’économie pour mettre le peuple à l’abri des aléas du cours des matières premières.

Les invectives contraires des supporters des deux camps ne doivent pas recouvrir la déficience politique de fond qui est imputable aux deux candidats, à l’héritier Ali Bongo et au cacique Jean Ping son challenger. Ali doit partir car il n’a rien fait pour nous s’époumone un manifestant pro-Jean Ping. Qu’a pourtant fait Jean Ping, un acteur central du système  pour éclairer et orienter, dans le sens du service des intérêts du peuple gabonais, la gouvernance du père Bongo dont il fut pourtant un collaborateur écouté et un ministre influent ?

 L’habileté de Omar Bongo à mener les hommes, à réduire les critiques et les contestations par la ruse, le poids de la tutelle de l’ancienne puissance coloniale, les déterminismes internes et externes qui garantissaient la pérennité de l’ordre établi au Gabon ne peuvent être une excuse. Jean Ping n’est pas crédible quand il s’évertue maladroitement à se mettre en marge du système de prédation dont il accuse son adversaire tout en clamant sa fidélité aux intérêts français. Les extravagances dispendieuses de l’héritier Ali Bongo symbolisent la corruption politique et l’arbitraire d’un pouvoir sans limite. Mais Jean Ping, acteur central de ce pouvoir corrompu, est le serviteur fidèle du vieux monde postcolonial africain vermoulu qui s’écroule sous les coups de boutoirs des jeunes générations de l’Afrique post-postcoloniale assoiffées de justice, de liberté, d’égalité et d’émancipation.

Les Gabonais qui se sont, faute de mieux, rangés comme partout ailleurs en Afrique derrière le cacique mimant la posture antisystème, désirent une autre politique qui change concrètement leurs conditions de vie. Leur cri de révolte, au Gabon comme hier au Congo et avant-hier en 2010 en Côte d’Ivoire, en appelle à l’avènement d’une nouvelle génération de politiciens qui incarnent et mettent en œuvre la dimension substantielle de la démocratie, qui révoquent par leur mode de gouvernance le patrimonialisme, l’économie rentière, la prédation, la corruption,  stigmates du monde ancien qui s’écroule.

 Le battage médiatique fait autour de l’absence de transparence de l’élection occulte cet aspect substantiel de la crise. Il est pourtant la raison explicative profonde de la révolte des laissés-pour-compte gabonais qui se sont trouvé, faute de mieux, un faux champion en Jean Ping. Cette dispute sur la transparence de la proclamation des résultats  porte involontairement au premier plan la dimension procédurale de la démocratie. On appelle au strict respect des  procédures et on réduit, ce faisant, la légitimité politique en démocratie à la légitimité électorale. Or, à ce jeu de dupe, le pouvoir gabonais et Ali Bongo pourraient, comme Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire en 2010, en appeler à la souveraineté de l’Etat gabonais contre les intrusions étrangères,  au respect de ses institutions pour imposer sa victoire grâce aux hommes de pailles qui les dirigent.

Au Gabon, comme hier au Congo-Brazzaville, il est moins question de déficience quant au respect des  procédures et de la transparence des élections que de coupables manquements quant  à la transparence de la gestion des biens de la cité par les pouvoirs successifs, de déficience quant à l’exigence de limitation du pouvoir par les droits fondamentaux des personnes et des collectivités, de carences graves quant au service des intérêts de la société par l’Etat. C’est à l’aune de ces exigences de la démocratie substantielle que doit être appréciée et évaluée la légitimité électorale réelle des protagonistes du conflit gabonais.

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