En démocratie, contester n’est pas comploter.

contestationEn démocratie « le libre choix des gouvernants par les gouvernés serait vide de sens si ceux-ci n’étaient pas capables d’exprimer des demandes, des réactions ou des protestations, formées dans la société civile ».(Cf Alain Touraine. Qu’est-ce que la démocratie ?)

Interpréter la contestation sociale comme complot politique dans une démocratie, voir en tout mouvement social une action insurrectionnelle téléguidée par des comploteurs cachés voulant renverser le pouvoir, c’est voir le champ socio-politique avec les œillères des autocraties et des dictatures qui ne tolèrent pas la contestation sociale et l’interpellation du pouvoir par les corporations, les associations et l’opposition politique.
Certes des factions politiques qui en sont restées à la logique nationale-communautaire et révolutionnaire peuvent tenter de subvertir les mouvements sociaux en mouvements politiques dans un objectif de sédition. Cette occurrence met cependant un régime démocratique au défi de gérer politiquement la contestation sociale dans le respect des règles de l’Etat de droit. Cette gestion politique du conflit social confirme sa nature démocratique. Dans la nouvelle Côte d’Ivoire née de l’élection présidentielle de 2010 ce test a jusqu’à ce jour été plutôt réussi. La voie de la négociation et du compromis est allée de pair avec les mesures sécuritaires destinées à garantir l’ordre public. Le pouvoir n’a pas cédé aux tentations répressives et au discours complotiste caractéristiques des dictatures et des autocraties. Il serait mal inspiré et mal conseillé s’il enfourchait aujourd’hui ces chevaux de batailles belliqueux qui combattent toujours l’esprit de la démocratie.
Il n’y a pas de démocratie sans interpellation, sans contestation et sans limitation du Pouvoir. Elle est inexistante lorsque les points de vue et les intérêts divergents des acteurs sociaux ne peuvent se former et s’exprimer librement. Cette prise en compte politique de la contestation et des demandes sociales fonde la représentativité du gouvernement. Le corps du régime démocratique est pour cela constitué par les institutions du conflit c’est-à-dire les partis politiques, les associations et les corporations. Le rôle des associations et des corporations est d’exprimer, d’organiser et de défendre les intérêts particuliers et sectoriels des acteurs de la société civile. Celui des partis politiques est d’agréger les demandes des diverses catégories sociales qui constituent la société globale, d’exprimer et de représenter les intérêts et les différentes valeurs qui la structurent. Ils entrent pour cela en compétition pour rassembler le suffrage de la majorité sur un projet sociétal intégrateur et rassembleur afin de prendre le gouvernement. L’interpellation du pouvoir par l’opposition politique, son contrôle actif par la société est destiné à garantir sa représentativité. Ces actes démocratiques sont nécessaires. Ils permettent de limiter l’arbitraire du pouvoir, de soumettre l’Etat aux besoins de la société, de le transformer en agent de développement.
La substance de la démocratie consiste donc en une expression saine et ouverte des conflits d’intérêts et des différents d’appréciation. Le propre de la démocratie est de réduire institutionnellement la violence des affrontements sociaux, de gérer politiquement les conflits et les différends, de réaliser le compromis entre les intérêts divergents qui s’expriment dans la société. En démocratie cette gestion politique et cet arbitrage des conflits sociaux n’est pas l’attribution de l’Etat et de son chef. Elle en revient aux institutions d’impartialité fonctionnellement au service de l’intérêt général telles la Cour constitutionnelle garant de la constitutionalité des lois et les Autorités Publiques Indépendantes qui permettent de médiatiser les rapports entre la société civile et l’Etat. La défense sociale des intérêts corporatifs, la politique conflictuelle des partis et la politique majoritaire du gouvernement doivent être tempérée par une politique d’impartialité garantie par les institutions dédiées. Elle maintient la prééminence des règles de droit et préserve les principes républicains et démocratiques. Elle garantit la cohésion nationale, en encadrant la défense des intérêts particuliers de telle sorte qu’elle aille de pair avec la recherche du Bien commun.
Qu’est-ce en effet que la démocratie sinon « un système de médiations politiques entre l’Etat et les acteurs sociaux » comme le souligne Touraine ? Lorsque ce système de médiations politiques est faible et son autonomie douteuse, lorsque l’impartialité est frappée par le soupçon, l’affrontement démocratique dégénère en guerre de tranchée entre des camps irréconciliables séparés par un no man,s land traversé par des tirs mortels qui tuent la démocratie. L’enjeu de la démocratie en Afrique est donc de renforcer les institutions qui garantissent la politique d’impartialité, de développer l’autonomie du système politique et d’affermir les Autorité Publiques Indépendantes pour assurer le caractère démocratique du conflit social.

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