Réforme de la Constitution en Côte d’Ivoire. Le sens et l’objet des états généraux de la République. 4/4

Réforme de la constitutionRéappropriation autocritique des valeurs de la République et de la démocratie : la responsabilité citoyenne et politique

Demander  à tenir « les états généraux de la République pour faire le bilan de la crise politique ivoirienne afin que cette situation ne se reproduise pas dans un avenir proche », c’est vouloir recentrer le  débat public ivoirien sur les valeurs de la République et de la Démocratie. C’est vouloir déterminer les raisons ayant conduit les divers protagonistes de la crise politique ivoirienne à trahir si facilement ces valeurs. C’est, dans ce débat autocritique, réinterroger nos engagements individuels et collectifs du passé et du présent. C’est pour chacun d’entre nous, nous mettre en position de réceptivité pour  nous approprier les valeurs de la République et de la démocratie afin de construire le présent et l’avenir de la cité ivoirienne. C’est décider de révoquer le passé en nous y référant comme mémoire de nos abdications et de nos démissions. C’est vouloir bâtir le présent et le futur de la Côte d’Ivoire selon le modèle démocratique de la coexistence de la diversité, du respect des libertés fondamentales, de la coresponsabilité citoyenne et de la fraternité.

Comme réflexion autocritique collective publique sur la crise de la République en Côte d’Ivoire, les états généraux nous  appellent à révoquer notre manière habituelle de concevoir le pouvoir d’Etat. Dans l’Etat de parti unique, nous l’avions conçu comme étant la propriété privée et le patrimoine du prince. Sous cette perspective, nous le considérons maintenant dans nos démocraties naissantes, comme étant la propriété privée du peuple majoritaire et de ses représentants politiques. Ces représentations entretiennent à la fois le patrimonialisme et l’exclusion des minorités. Animés par la culture encore prégnante des royautés et des empires précoloniaux,  par les représentations de la société et du pouvoir qui y sont attachées, nous avons tendance à nous représenter la cité moderne sous le modèle de l’homogénéité communautaire. Nous nous représentons le pouvoir démocratique sous l’image du sceptre, du trône et du monopole autocratique de la puissance publique par un chef communautaire.

A travers les états généraux de la République, nous devons abroger ces représentations antidémocratiques. Nous devons nous réapproprier la notion démocratique de la cité comme unité d’une collectivité hétérogène constituée par une diversité de peuples tous venus d’ailleurs. A la notion du pouvoir comme propriété d’un chef incarnant politiquement l’identité culturelle d’une communauté primordiale, nous devons substituer la notion démocratique du Pouvoir comme entité inappropriable d’un peuple pluriel de citoyens. Nous devons remplacer la notion patrimoniale du pouvoir par cette nouvelle notion démocratique en laquelle le Pouvoir est conçu comme un espace qui ne peut être occupé par quiconque  y compris le peuple souverain lui-même. La démocratie est le pouvoir du peuple au sens où le pouvoir démocratique est un lieu vide qui doit le demeurer.

Les  états généraux de la République  nous appellent donc à nous  réapproprier la culture démocratique  à travers le débat public. La conception du citoyen qui doit en émerger, est celle d’un sujet autonome et critique, responsable de sa vie et de celle de ses concitoyens. L’idée de la société ivoirienne qui doit en procéder, est celle d’une société solidaire de citoyens coresponsables. Celle du système politique qui doit en découler, est celle d’une institution autonome d’arbitrage qui médiatise les rapports entre l’Etat et la société pour harmoniser les conflits entre les intérêts divergents des acteurs sociaux et pour  garantir institutionnellement l’intérêt général et le service du bien public. Celle de l’administration qui doit en dériver, est celle d’un pouvoir autonome de la généralité, servi par des fonctionnaires recrutés par concours sur un critère de compétence et de professionnalisme. Celle de l’Etat, est celle d’un pouvoir démocratique  responsable dirigé par des magistrats que se conçoivent et se sentent comptables devant le peuple souverain. Les états généraux de la République doivent permettre, pour cela, de reconstruire le modèle de représentativité politique des élus. Au modèle ethnique et confessionnel de représentativité politique qui conçoit l’élu comme représentant d’une ethnie ou d’une confession, il faut substituer le modèle républicain et démocratique, lequel  définit l’élu comme mandataire d’une catégorie socio-professionnelle. Ils doivent permettre de substituer au modèle ethnique ou confessionnel du peuple et de la nation, le modèle républicain et démocratique qui conçoit ces corps comme unité politique constituée par l’ensemble des citoyens. Il s’agit aussi de substituer au modèle ethnique et confessionnel du chef comme incarnation politique d’une identité ethnique et confessionnelle, le modèle démocratique et républicain du chef d’Etat comme représentant politique d’une nation diversifiée de citoyens, de la majorité et de la minorité électorale.

L’objet ultime des états généraux de la république comme temps de catharsis collective et d’aggiornamento, est finalement de révolutionner, à travers le débat public cathartique, notre manière de penser et de reformer progressivement, par la conduite démocratique qui s’en inspirera, notre manière de sentir. Il s’agit de substituer à la culture égocentrique de la dictature et de la tyrannie où Ego ne reconnait et ne se soucie que de soi, une culture de la générosité et du partage en laquelle Ego reconnaît et se soucie prioritairement d’Alter et agit pour aménager les conditions temporelles de son bien-être. C’est de cette disposition éthique intérieure des individus et des collectivités que procèdera une société solidaire et un Etat démocratique qui préviendront et permettront d’éviter la meurtrière crise politique que la Côte d’Ivoire a vécue.

<>

Les commentaires sont fermés