Réforme de la Constitution ivoirienne: le sens de la séparation des pouvoirs. 1/1

assembléePour renforcer la démocratie et pour préserver la Côte d’Ivoire de l’instabilité politique, il faut réformer la constitution, l’expurger de tous les « points confligènes ». Il faut, entre autre, réformer la séparation des pouvoirs pour mettre fin au danger  autocratique et au risque oligarchique. Il faut éliminer la déficience majeure de notre Constitution, l’emprise politique de l’exécutif sur le législatif et le judiciaire, qui a provoqué la crise politique ivoirienne. Cette réforme nécessaire est un point de consensus entre les différents protagonistes politiques ivoiriens.

Sur la base de ce consensus, le gouvernement et l’opposition ont choisi des solutions différentes et opposées correspondant à leurs obédiences idéologiques respectives. « Nous ne sommes pas d’accord- dit Affi N’guessan – en ce qui concerne les rapports entre le législatif et l’exécutif.  Là où le président souhaite mettre des institutions étanches, nous pensons qu’il faut mettre en place un mécanisme de collaboration entre les différentes institutions, dans l’intérêt du pays. ». C’est donc une discussion politique qui s’amorce à fleuret moucheté. Elle est animée par des choix idéologiques divergents et par des soupçons qu’il importe de révéler pour éviter un dialogue de sourd.

D’obédience libérale, le gouvernement envisage la réforme constitutionnelle de la séparation des pouvoirs dans le sens d’un renforcement qui préserve l’autonomie du législatif, de l’exécutif et du judiciaire. L’opposition FPI (Front Populaire Ivoirien), qui se réclame de l’obédience de la démocratie populaire, l’envisage, au contraire, sous la perspective d’une « collaboration entre les différentes institutions, dans l’intérêt du pays ». De part et d’autre, la réforme constitutionnelle de la séparation des pouvoirs est envisagée sous une perspective idéologique partisane. Nourries par les blessures de la crise post-électorale et par le soupçon, ces solutions partisanes frontalement opposées risquent de bloquer le nécessaire dialogue républicain et le compromis qui permet de réconcilier les divergences.

Envisagée selon la lettre de la démocratie, la séparation ou la collaboration des pouvoirs est, en effet, grosse d’impasses, d’équivoques et d’ambiguïtés. La formule de la séparation étanche des pouvoirs peut être interprétée comme un dispositif qui favorise la dérégulation libérale du marché. La formule de la collaboration peut être interprétée comme un mécanisme qui préserve, au contraire, la complicité politique nécessaire au populisme identitaire. L’opposition n’aurait-elle pas choisi cette formule pour réintroduire dans l’article de la séparation des pouvoirs, un nouveau mécanisme de contrôle identitaire du pouvoir politique? Le gouvernement, de son côté, n’aurait-il pas choisi la formule de la séparation étanche des pouvoirs pour assurer en Côte d’Ivoire, le règne sans contrôle du marché et de ses acteurs dominants?  La formule de la collaboration des institutions proposée par l’opposition, ne serait-elle pas un dispositif permettant à des factions politiques d’instrumentaliser les trois pouvoirs pour réaliser des objectifs antipolitiques ? Inversement, la formule de l’étanchéité et de l’autonomie radicale des trois pouvoirs, proposée par le gouvernement ne servirait-elle pas à protéger des intérêts dominants et à empêcher la contestation constitutionnelle de pouvoirs oligarchiques ?

Le réaménagement constitutionnel de la séparation des pouvoirs en Côte d’Ivoire doit donc s’opérer selon l’esprit de la démocratie et non pas selon sa lettre. La séparation des pouvoirs ne doit être réaménagée pour introniser le peuple, pour lui conférer les pouvoirs d’un Monarque. Elle ne doit pas non plus être réaménagée pour instituer une séparation radicale des trois pouvoirs, une  polyarchie. La séparation des pouvoirs doit être réaménagée en Côte d’Ivoire pour conformer cette institution à l’esprit de la démocratie. Qu’est-ce-à-dire ?

La séparation démocratique des pouvoirs doit être comprise comme limitation du pouvoir par les droits fondamentaux et non pas comme indépendance de pouvoirs autonomes ou collaboration des pouvoirs dans « l’intérêt du pays » étant donné que la notion de « pays » renvoie aux coutumes et aux communautés et non pas à la République et à la citoyenneté. Le sens de la séparation des pouvoirs, en démocratie, est que le pouvoir doit être limité par les droits individuels et collectifs fondamentaux « qui doivent être  défendus par des lois constitutionnelles qu’appliquent et que défendent des magistrats indépendants » (cf. Alain Touraine. Qu’est-ce que la démocratie?). La relation des trois pouvoirs doit donc être réaménagée en Côte d’Ivoire pour garantir constitutionnellement l’indépendance du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. La réforme de la Loi Fondamentale doit assurer l’autonomie du  Conseil constitutionnel dont la tâche, en démocratie, est de vérifier la conformité des lois aux principes généraux inscrits dans la Constitution. Il s’agit donc d’instituer la constitutionnalité de la loi en Côte d’Ivoire, de sauvegarder l’autonomie de la jurisprudence, de faire en sorte qu’elle ne devienne pas un instrument  de défense des intérêts les plus puissants. La séparation des pouvoirs doit être réformée pour assurer "l’indépendance de l’administration et celle des mécanismes de contrôle de la constitutionnalité et de la légalité des décisions prises"(Cf.Ibid).

Sous une perspective plus globale, l’objectif de la réforme de la Constitution, en Côte d’Ivoire, est de réaménager les rapports entre la société civile, la société politique et l’Etat pour garantir, à la fois, la souveraineté du peuple et les libertés individuelles. La pertinence d’une éventuelle tenue des états généraux de la République en Côte d’Ivoire doit être envisagée sous cette perspective globale.

(A Suivre)

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